Chapitre 6-3

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« Franchement, j'te déteste de me trainer là-bas. »

Rory regarda par-dessus son épaule alors qu'il venait d'enlever son sweatshirt. Dans le miroir se reflétait l'image d'un jeune homme, dont les cheveux bruns découverts que le crépuscule dorait. Il recoiffait sa mèche, d'habitude cachée sous sa fidèle casquette, et se regardait dans la glace. Il flottait dans ses vêtements trop larges, tout comme sa chaîne dorée, exacerbée. On le croyait sortir d'un clip de rap daté lorsqu'il mit ses mains dans ses poches, le rouge aux joues. La langue sortant d'entre ses dents, Rory rit, tant le contraste vestimentaire le chamboulait. Il se tourna à moitié sur le lit, fixant le miroir.

« Roh allez, ça va pas te faire du mal une soirée, railla-t-il en levant son index. »

Luke roula des yeux. Tous deux savaient qu'il n'était pas un amateur de soirée. Du moins, pas ce genre de soirée où on se mêlait à la foule et sautait dans tous les sens, tout en buvant de l'alcool à outrance. Non, il préférait plutôt ses balades calmes où il explorait des lieux naturels tout en sirotant une bière, accompagné de son meilleur ami. Alors, quand ce dernier lui avait proposé d'aller à l'évènement organisé par le comité d'élèves de leur Collège, il avait hésité. Mais il avait suffi d'un regard et d'un prénom pour le convaincre. Rory en rit encore quand il évoqua le sujet « Rayenne ». La gêne de Luke s'intensifia davantage, son visage entier coloré comme une pivoine. Rory se dirigea vers son armoire où il chercha des vêtements allant dans le thème. Il trifouilla parmi ses habituels t-shirts et jeans jusqu'à trouver un vieux maillot de basketball et un pantalon ample : cela ferait l'affaire. Alors qu'il commençait à se changer, il se rappela d'un fait.

« Ça avance avec ta mère ? T'as pu la revoir ? demanda-t-il, les yeux toujours dans le miroir. »

La mine de Luke semblait s'égayer à ses dires. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu'il remit sa casquette à l'envers. Il commença alors à narrer son aventure. Il avait pris le numéro de téléphone de la personne qui l'avait contacté sur son forum. Il l'avait appelé et, à sa grande surprise, il avait découvert un ton féminin. Elle avait donné des détails sur la femme de la photo, sur sa vie d'avant.

Elles avaient vécu au sein de la même famille, deux années d'écart les séparant. Luke avait parcouru les jeunes âges de sa mère au travers des dires de cette inconnue. Une enfance tumultueuse où elle n'avait cessé de voyager avec ses parents. Elle avait mis les pieds dans diverses contrées comme les hauteurs des Andes du Chili ou encore le bas fleuve du Nil, toujours accompagnée de sa sœur et d'un appareil photo qu'elle avait reçu pour son anniversaire. Elle était une incroyable photographe dans sa jeunesse. Quand Luke avait demandé si l'inconnue avait encore des contacts avec elle, elle répondit que cela faisait longtemps qu'elle n'avait donné des nouvelles. Puis, quand il avait demandé l'identité de la personne qui lui avait parlé, la conversation s'était écourtée.

Il avait tenté une nouvelle fois d'appeler la personne, mais cela ne l'avait mené qu'à un silence. Il aurait pu la harceler de messages sur le forum, lui demander plus de réponses, mais il comprit bien vite que cela serait vain. Après tout, elle lui avait pour sûr donné toutes les informations qu'elle avait au sujet de sa mère. Et, au contraire des dires de son père, sa mère avait semblé, l'espace d'un instant, être une formidable personne.

Son sourire se dissimulait derrière une moue nostalgique. Rory posa sa main sur l'épaule de son meilleur ami, geste se voulant soutenant. Au contact, la brume mélancolique se dissipa pour laisser place à un mirifique rictus. Il se défit de la main et hocha de la tête. Rory comprit et tous les deux sortirent de sa chambre. Après tout, ils avaient une fin d'examen hivernal à célébrer !

Plus tard, en début de soirée, il regrettait l'idée du maillot. Rory avait certes une veste pour couvrir ses manches courtes, mais la bise se frayait un chemin au travers de ses vêtements. Une immense file d'attente de collégiens le devançait son groupe et lui, ce qui le désespéra. Le pas lent, les étudiants avançaient petit à petit, passant une batterie de contrôles embêtante qui empêchait tout alcool clandestin de rentrer. La musique trop forte s'entendait de l'extérieur, tout comme des cris et chants amusés qui alléchaient les personnes qui attendaient dehors. Alice s'excitait comme à l'accoutumé, sous les regards peu étonnés des garçons qui l'entouraient. Elle se frottait ses manches nues et réchauffait ses mains contre le tissu de son croc-top blanc qui laissait entrevoir son ventre. Victor en rigolait. Cigarette à la main, il jouait avec l'état pompette de son amie, le mégot écrasé par la semelle de sa chaussure démodée. Quant à Rayenne, ses paroles vaines tentèrent de la protéger de la malice de son camarade, la chaîne d'argent à son cou se balançant au rythme de ses gestes. Luke observa la scène, toujours aussi mal à l'aise dans sa tunique d'un autre temps.

Au final, quand ils se présentèrent à l'entrée, ils purent entrer dans la bâtisse. La musique, tantôt freinée par les murs, se déchaîna dans leurs oreilles. Les collégiens, tous déguisés dans des tuniques datées, se mélangèrent entre eux, donnant une foule effrénée qui dansaient à la mesure des basses. Le groupe tentait d'avancer sans se perdre dans la cohue, aveuglé par les lumières versatiles. Non sans mal, ils arrivèrent auprès d'un comptoir où ils troquèrent leur affaire contre un ticket que Rory rangea dans la poche de son baggy. Victor, qui s'était rué au bar, leur apporta des verres à moitié vides, l'autre moitié déversée à cause de la vague d'étudiant inarrêtable. Ils trinquèrent donc et burent d'une gorgée leur verre.

Ainsi, ils s'éloignèrent du comptoir et se mêlèrent à la foule. Ils dansèrent ensemble, ou plutôt essayèrent, s'échangeant des sourires et des pas approximatifs alors que la musique les ramenait à leur enfance. Alice montra la voie à tout le monde, démontrant ses talents de danseuse qui attirèrent le regard de la foule. Elle se déhancha, leva son verre en l'air et secoua ses épaules, suivant ce que la musique lui dictait. Son groupe l'imita, Victor tentant une approche. Les musiques s'enchainent, la température augmente, la fatigue les guide, ils continuèrent de se mouvoir. Plusieurs garçons vinrent tenter leur chance auprès d'Alice, repoussés par cette dernière qui se défendit, épaulée par la carrure sportive de Victor. Rayenne et Luke disparurent dans la masse, laissant un Rory à l'écart.

Sirotant sa bière, une fille s'était assise à ses côtés, ses soupirs discontinus et la sueur sur son visage traduisant son épuisement. Elle recoiffa ses courts cheveux de jais, tandis que ses yeux émeraude le remarquèrent enfin. Le garçon lui offrit un tendre sourire qu'elle lui rendit. Celle-ci lui proposa une danse, qu'il accepta. Et ils dansèrent encore et encore, leur corps se rapprochant au fil des musiques. Rory s'essaya à un pas qui le fit trébucher.

Aussitôt, tels des dominos, les gens derrière lui tombèrent à leur tour, ce qui arracha un pouffement de rire à la fille qu'il avait essayé d'impressionner. Il s'excusa auprès de la foule, se grattant l'arrière du crâne alors qu'il se releva. Ainsi, la soirée se poursuivit jusqu'à tard. Sans s'en rendre compte, deux heures passèrent durant lesquelles Rory et l'inconnue discutèrent, dansèrent, sautèrent quand l'occasion se présentait, créant ainsi une alchimie dont seuls eux connaissaient les secrets. Quand ils sortirent, s'aérant et profitant de la tendresse de l'hiver, ils apprirent leur prénom. La jeune Rosemary sortit son téléphone de sa poche, et déclara qu'elle devait partir. Rory cacha sa déception quand elle le salua, tourna les talons et quitta son champ de vision. Il triturait sa chaîne, alors qu'il se maudissait de ne pas lui avoir demandé son numéro de téléphone.

Soudain, il entendit la voix éreintée d'Alice qui s'approcha de lui. Elle s'époumona à propos de Rayenne et Luke qui se seraient embrassés. Derrière elle, Victor souriait de toutes ses dents alors qu'il levait le pouce en l'air, semblant fier de l'évènement. Rory oublia bien vite la jeune inconnue, se sentant heureux pour son meilleur ami. Au moins, quelqu'un avait réussi à conclure ce soir. Il se demandait quand même si, un jour, il recroiserait cette fille dans un cadre plus propice au romantisme. Il imaginait une soirée calme, tendre où ils parleraient de futilités dans l'unique but de profiter de sa voix.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant