Chapitre 10-3

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Un flash illumina d'un coup la pièce. Luke venait de prendre une photo, comme il en avait l'habitude. Son meilleur ami, Rory, était déjà sous les effets de l'alcool, comme le prouvaient sa posture maladroite et ses gestes plus tactiles qu'à l'accoutumé, son bras entourant le cou du photographe. Les rougeurs sur ses joues pouvaient être causées par le fort taux d'alcool dans ses veines, pourtant c'était la gêne qui les avait colorées. Il n'avait pas l'habitude des contacts, encore moins ceux du dessinateur. Mais il feignit la quiétude, alors que tout dans sa tête s'accélérait.

Il avait accepté de venir à cette soirée, quand bien même son image de mère avait été brisée, qu'il avait rompu avec son copain suite à cela et que tout se soit écroulé d'un coup. Il avait bâti sa tranquillité sur un château de cartes qui s'était effondré en une seule visite. Les révisions des semestrielles l'assiégeaient et il peinait à suivre le rythme de fin d'année. Le temps avançait à une vitesse véloce sans qu'il ne parvienne à le rattraper. Et il se retrouvait quand même à cette soirée où il y avait trop de monde, trop d'informations à discerner. Et la main de son ami qui était posée sur son épaule l'empêchait d'avoir une réflexion fluide.

« Tout va bien ? »

Cette question, posée par Rory, il ne savait pas comment y répondre. Il aurait pu être honnête, déverser toute sa tristesse suite à ses mésaventures, lui parler de la peur de l'échec scolaire, la peur de perdre son père, de gâcher une année, mais il se tut, hochant de la tête avec difficulté. La musique, trop forte, le rendait sourd tandis qu'un joint était échangé dans le petit groupe qui venait de se former sur le sol. Rayenne lui lançait des regards insistants qu'il fit semblant de ne pas remarquer. Il fuyait les conséquences de ses actes. Peut-être avait-il rompu trop vite.

Il était rentré de Paris avec l'impression d'avoir tout perdu. Il avait mis tant d'espoir dans cette visite que cela lui avait pompé toute son énergie. Une fois chez-lui, dans cet appartement étriqué, il avait éteint son téléphone. Il avait voulu le silence, la paix pour une fois. Adieu les notifications, les amis, les cours. Ce moment de calme n'avait pas été reposant pour autant, les pleurs en échos dans cette trop petite chambre lui rappelant son malheur. Il avait frappé son oreiller à plusieurs reprises dans sa rage, des coups refrénés par la douceur du coussin, jusqu'à ce qu'il s'effondre de fatigue.

Le lendemain, il s'était réveillé tard. Le soir, il avait quitté son copain. Et les jours inlassables étaient passés. Il était allé en cours sans réelle conviction, avec ce faux sourire, l'air de dire que tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors qu'à l'intérieur de lui, il était effondré. La tristesse avait alourdi ses paupières à chaque réveil alors qu'il devait donner toute son énergie en cette fin d'année. En rentrant chez-lui, il avait essayé tant bien mal de se concentrer sur ses révisions, malgré le bip régulier de la machine à oxygène qu'on entendait dans tout l'appartement, les murs de l'immeuble n'étant pas assez isolés pour couvrir ce bruit qui lui rappelait la fragilité de son père. Ce même père qui avait tenté de l'éduquer, épaulé par la sœur de celle qui les avait abandonnés. Cette même sorcière qu'il avait rencontrée et qui semblait lui avoir jeté un sort qui avait puisé toute son énergie. Déconcentré, il avait regardé son téléphone, remarqué une invitation de Rory pour une soirée et avait cédé à la flemme.

Voilà ce qui l'avait amené sur ce sol, avec la poigne trop lourde de son ami ivre. Il essayait tant bien que mal de se détendre, en vain. L'alcool accentuait sa tristesse, ses pensées invasives, intensifiées par son état proche de l'éthylisme. Le poids sur son épaule chauffait, comme un contact peau contre peau. Puis il ressentait la proximité entre son meilleur ami et lui. Ses oreilles atténuaient le bruit, il entendait trouble, voyait comme un sourd, alerte sur toutes les informations visuelles qu'il percevait. Il sentait son cœur battre vite dans sa poitrine, celui-ci semblant vouloir sortir de sa cage osseuse.

Carnet d'un ami disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant