CHAPITRE 001

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DOURMI  est un petit village du sahel africain sis au pied d'une colline rocheuse, et la vie s'y passe sans histoires ; là vivent le vieux Mamane et sa femme Salmou, un couple que tout le monde connaît et respecte, parce qu'il avait vu arriver les premiers habitants du village. De ce couple, était né un seul enfant, une fille, Maïmou.
A douze ans déjà, elle balaie la maison, lave le linge et prépare la pâte du mil, de sorgho, rarement du riz: sa cuisine est appréciée de tous les habitués de la maison,Mais quand il lui arrive de mal préparer, c'est pour sa mère l'occasion de la gronder, de la battre même. Et le vieux Mamane ne dit rien. Du reste, que peut-il, lui, un homme faible de caractère, n'exerçant aucune influence sur sa femme: en plein pays djerma, voilà un "mari".


Un jour, pendant qu'il était assis, Salmou battit sa fille; il eut alors le courage d'intervenir:

- Salmou, voilà trente ans que nous sommes mariés, et nous n'avons qu'une seule fille. Nous devrions lui donner une éducation qui fera d'elle une femme quand nous ne serons plus là. Alors, épargne-la de ces sévices.

Ma fille, c'est ma fille, répondit Salmou ; je ferai d'elle ce que bon me semble.

- D'accord, reprit Mamane, mais tu devrais lui dire comment elle doit s'y prendre pour réussir en ce qu'elle fait.

- Au fond, enchaîna
Salmou, de quoi te
mêles-tu ? Occupe-toi plutôt de tes champs et de tes animaux. La maison, c'est moi !

- Mais Salmou, ce n'est pas de cette manière qu'on éduque un enfant. On lui donne des conseils suivis de démonstrations. Et puis, toi qui es sa mère, depuis que nous vivons ensemble, quand m'as-tu réellement préparé un repas digne de ce nom ? Je ne t'ai jamais battue pour autant. Change donc de conduite à l'égard de ta fille.

- Qu'importe, répondit Salmou.

Maimou devint une fille belle, très belle même à tel point que déjà, dans le petit village de Dourmi, une légende commença à se tisser autour d'elle. Quand elle passe, tous les regards se tournent vers elle: jeunes et moins jeunes, chacun brûle du désir d'obtenir d'elle un sourire, un simple sourire. On s'empresse de la saluer, de lui faire des louanges, de la provoquer des yeux, car Maïmou est vraiment belle et charmante, et tout le monde admire sa vertu et son bon sens. Bien que consciente de ce qu'elle représente aux yeux de tous, elle a su demeurer elle-même, simple et respectueuse.

Pendant ce temps, le vieux Mamane, lui, ne songeait plus qu'au mariage de sa fille. Un soir, de retour d'une promenade, il appela de sa voix tremblante qui s'entendait à peine « Maïmou ? »elle vint en courant près de lui.

Maïmou, je t'ai fait venir parce que le poids des années me pèse lourdement à présent. Je sais dans quelle condition tu vis et cela me chagrine.
Mais tu es jeune, ton âge te permet encore bien de choses. Un jour, par la grâce de Dieu tu fonderas un foyer, tu auras des enfants... Hélas, ce serait après moi, et je n'aurai pas cette joie et cette fierté de pouvoir les caresser et les couvrir de la même affection dont je n'ai jamais cessé de te couvrir.

Maimou fondit brusquement en larmes, parce qu'elle savait que son père mort, son avenir à elle serait aussitôt compromis. Le vieux Mamane la consola.
- Cesse de pleurer Maïmou et arme-toi de courage pour affronter les vicissitudes de la vie. Et il faut que tu en aies, car Salmou ne m'écoute même plus.

-J'ai entendu, père. Je suis maintenant une grande fille et je saurai me rendre digne de toi.

Ecoute-moi bien, ma fille: où que tu seras, tâche d'être à la fois une femme vertueuse, respectueuse et humaine. Garde-toi de rendre le mal par le mal, et si un jour tu devais te marier, choisis le garçon qui correspond au maximum à tes goûts, quelle que soit sa situation sociale. Il y va de ton avenir, de celui de tes enfants surtout.

Mamane et sa fille ne se dirent plus rien.

Seule la joie du vieil homme se lisait sur son visage quadrillé par les rides. Maïmou, quant à elle, rejoignit sans empressement un petit groupe d'amies venues la chercher pour leur "fakarey" habituel sur la place publique.


Depuis deux mois, Mamane souffre d'un mal incurable. Personne ne peut faire le diagnostic dans ce village où l'on continue encore de douter de l'efficacité des "médicaments du Blanc. Au chevet du patient, marabouts et charlatans se succèdent.
Les "folley" montent fougueusement sur leurs
"chevaux" tous les jours. Chacun veut démontrer qu'il est plus compétent que l'autre, plus grand guérisseur que l'autre. Dans ses diverses démarches pour recouvrer sa santé, Mamane, après avoir vendu toute sa volaille, entama son bétail. Mais un soir, pendant que parents et voisins étaient assis religieusement à l'ombre du grand hangar de la cour, Mamane, doucement répondit à l'appel de son Créateur.

Et au moment où Salmou se retourna vers lui, il n'y avait plus sur le "tara" qu'un corps inerte qui riait sans rire, qui regardait sans voir. Salmou comprit aussitôt que son mari était mort. Elle sortit alors de la case et annonça la triste nouvelle à l'assistance.

Les pleurs envahirent immédiatement la cour puis s'étendirent à tout le village. Salmou resta impassible, regardant d'un oeil sec et paisible la foule pleurant un corps qui ne lui dira plus aucun mot.
Pas une seule larme n'a effleuré ses joues.
Ce qui fit dire à certains que cette mort, Salmou la Souhaitait depuis des années, parce que matérialiste jusqu'aux os, elle voulait à elle seule, disposer au plus tôt des biens de son mari.

En cet instant précis, Maïmou était attelée au champ, à la récolte du niébé. Peu de temps après, elle revint à la maison et le silence absolu de cette multitude de gens lui fit comprendre que désormais elle était orpheline de père. Elle se mit donc à pleurer, à pleurer de toutes ses forces. Pendant deux jours, elle pleura, pendant deux jours elle repoussa l'eau et la nourriture, pendant deux jours, elle fut en colère contre un Dieu impitoyable à son égard.
Tous les efforts que déploya sa mère pour la faire taire restèrent vains.

C'est seulement après l'intervention de quelques sages du village que Maïmou comprit que perdre un père fait partie de la vie. Peu à peu, elle reprit ses activités habituelles : le ménage quotidien, la visite des champs et de temps en temps, la surveillance des quelques animaux que le berger ramène le soir à l'enclos.

MAÏMOU ou Le drame de l'amour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant