Octobre, quatre ans plus tard, vingt-deux ans d'Elias.
Le hurlement strident d'un réveil résonna dans une petite chambre plongée dans l'obscurité. Pelotonné sous ses couvertures, un jeune homme gémit et se recroquevilla, l'oreiller sur la tête, à la recherche de la quiétude du sommeil pour un instant de plus. Il tâtonna pour éteindre l'engin bruyant qui n'en finissait pas de s'époumoner, et se retourna pour contempler la place vide à ses côtés. Il fouilla la pénombre pour distinguer la présence de son amant, mais il n'en discerna nulle trace. Comme tous les matins, l'autre côté du lit n'était pas dérangé. Il s'était assoupi seul et s'éveillait livré à cette même solitude.
Il soupira et rejeta la couette. Son regard ne s'attarda pas sur ses bras nus où étincelaient les cicatrices vieilles de plusieurs années, pas plus qu'il ne s'arrêtait sur celles des cuisses quand il les dénudait. Il ouvrit les volets. Sous la fenêtre se dessinaient des champs d'immeubles, fiers et ordonnés, imposantes colonnes grises imperméables au temps. Le paysage n'avait pas changé depuis qu'il s'était installé là, deux ans et demi auparavant. Pourtant, il s'émerveillait toujours quand se dévoilait le vide des huit étages inférieurs. Pas de sa beauté, bien sûr : le béton terne et sale et les constructions uniformes ne présentaient pas le moindre attrait artistique. Il s'émerveillait de son indépendance. L'excitation qui avait fourmillé dans son bas-ventre lorsqu'il avait proposé à Eden, l'angoisse collée à la gorge, de s'installer ensemble, au sortir de leurs études, l'animait encore.
Il se souvenait sans mal des innombrables visites d'appartements, des refus catégoriques répétés de son amant. Trop bas, trop petit, trop sale, la cage d'escalier est trop étroite, ça manque de fenêtre, je ne peux pas respirer ici. Il avait déployé une variété de justifications impressionnante pour décliner les offres, encore et encore. Jusqu'à dégoter ce trois-pièces au huitième étage d'un immeuble moderne noyé dans une masse de constructions semblables. Et le oui, enfin, avait passé la barrière de ses lèvres. Un oui qu'avait accompagné un sourire timide, trop peu assuré pour être tout à fait franc. Car Eden, malgré les années, n'apprenait pas à sourire.
Elias quitta la pièce sans allumer la lumière et manqua de percuter la bibliothèque dans le couloir. Il jura à mi-voix et rejoignit le salon où, il le savait, il trouverait Eden. Il poussa la double-porte qui obstruait la pièce principale, elle aussi laissée à son obscurité matinale. Le soleil ne baignait pas l'univers de sa chaleureuse lumière, bloqué par la couverture opaque de la nuit. Un courant d'air lécha sa peau nue. Au-delà de la fenêtre ouverte, assise sur le rebord du balcon, il aperçut une silhouette ombragée, éclairée par la seule étincelle de ce qu'il savait être une cigarette entre ses lèvres.
Eden ne l'avait pas remarqué, abandonné à sa solitude paisible. Aussi l'homme ne s'avança-t-il pas. Il l'observa. L'être à l'inaltérable beauté renversait la tête en arrière, les paupières closes et les cheveux caressant sa nuque pâle, pour expulser la fumée néfaste qui l'empoisonnait. Puis ses yeux se rouvraient et se perdaient dans l'étendue d'encre, à la recherche d'un point où se fixer, égarés parmi les étoiles. Nul ne savait ce qui traversait alors ses pensées. Il demeurait là des heures durant, peut-être des nuits entières, isolé face au Ciel. Et la nicotine n'en finissait pas de le consumer.
« Tu as dormi ici ? dit Elias en approchant de la petite terrasse.
— Insomnie », dit Eden en rejetant un nouveau nuage de fumée dans l'atmosphère.
Il orienta vers lui un visage émacié. Des poches noires soulignaient son regard bleuté et se détachaient sur sa peau laiteuse. Il semblait luire, entouré d'un éclat aveuglant. Pourtant, cet éclat n'estompait pas les vagues traînantes des ténèbres qui tentaient de l'attirer. Ténèbres faites des silences et des non-dits, de tout ce qu'il gardait pour lui, enfoui dans les tréfonds de son esprit. Les secrets qui ne passaient même pas la barrière de ses pensées.
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Eden - Le Temps ne s'arrêtera pas
Paranormal𝐸𝑑𝑒𝑛 𝑡𝑜𝑚𝑏𝑎. 𝐸𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑠𝑎 𝑐ℎ𝑢𝑡𝑒, 𝑠𝑎 𝑔𝑙𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑖𝑙 𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑡𝑎. Eden est un Archange déchu, descendant des plus prestigieux représentants du Ciel. Eden est noble, fier, beau. 𝑃𝑎𝑟𝑓𝑎𝑖𝑡. Eden, pourtant, se perd et s'enf...