1800
Aziraphale était heureux. Un siècle ne pouvait pas mieux commencer.
Non sans mal, il était parvenu à obtenir toutes les autorisations nécessaires pour avoir une ambassade angélique. Il avait dû tout d’abord expliquer le concept même, puis, il avait dû remplir tout un tas de paperasses. Après un siècle et l’envoie de plusieurs formulaires, notamment le 12T, 66K et 221B qu’il avait dû renvoyer trois fois, il eu le droit d’ouvrir sa librairie humaine, son ambassade angélique et à titre personnel, un chez-lui assez vaste pour stocker toute sa collection de livres rares. Collection qui commençait à devenir trop importante. Aziraphale était particulièrement heureux de s’établir en Angleterre dont il avait toujours favorisé la littérature.
Il avait remonté les manches de sa chemise en lin, son manteau reposant plus loin et il avait déplacé des piles entières de livres à la manière humaine : il savait qu’il ne se sentirait pas intimement lié avec ce lieu s’il ne l’aménageait pas lui-même. Particulièrement satisfait de son travail, il se permit de contempler sa librairie. La pièce principale était lumineuse et spacieuse, elle pouvait aisément accueillir les très hautes bibliothèques qu’il voulait depuis longtemps.
Malgré tout le contentement que pouvait ressentir Aziraphale, il y avait une ombre au tableau : il se sentait un peu seul. Parfois…souvent, s’il devait être honnête, il aurait voulu célébrer avec quelqu’un ces petits accomplissements. S’il devait être encore plus honnête, il aurait voulu les fêter avec Crowley mais l’ange n’en était pas encore à ce genre d’introspection. Tout ce qu’il savait ressentir, c’était une forme de manque qui lui grignotait l’âme mais quoi de plus normal lorsqu’on a vécu à travers les âges en partageant l’affliction avec un seul autre être. Aziraphale aurait voulu que Crowley soit là, et il n’était pas surpris de cette pensée, plus les siècles passaient paresseusement, plus il souhaitait la présence du démon à ses côtés.
Il est vrai qu’aucun d’entre eux n’aurait choisi la société de l’autre pour passer le reste de l'Éternité sur Terre, mais ils n’avaient pas eu le choix et dorénavant, ils ne voulaient pas d’une autre compagnie divine.
Aziraphale soupira en s’asseyant dans un fauteuil style Louis XV en velours rouge brodé de motifs dorés. Il fit apparaître une tasse de thé fumante sur son robuste secrétaire en chêne. Il s’autorisait une pause avant de devoir ranger et classer ses livres, tâche qui lui prendrait certainement quelques siècles, puisqu’il ne pouvait s’empêcher de feuilleter tous les livres dont il avait oublié l’existence (et il y en avait beaucoup).
L’ange les imaginait tous les deux, Crowley et lui déambulant dans son nouvel espace, se préparant des verres d’un très bon vin blanc, un italien ou un français, il entendait déjà clairement les critiques de Crowley qui sonneraient surement fausse…le démon n’aurait jamais admis qu’il appréciait quelque chose si c’était Aziraphale qui en était l’instigateur.
Celui-ci grogna de frustration : c’était tout de même dommage que Crowley ne soit pas présent dans le seul lieu où aucun être du Très Haut ou du Très Bas ne pouvaient les espionner. Cela avait été difficile d’obtenir cet accord mais à force d’insistance, il avait obtenu la permission qu’aucun être d’essence divine ne pouvait les observer depuis le Paradis ou l’Enfer ou même entrer dans sa librairie sans la permission du propriétaire.
Non pas qu’Aziraphale voulait une certaine forme d’intimité avec Crowley, cette pensée l’aurait justement fait reculer de plusieurs pas sur cette décision mais il pensait qu’il méritait un lieu où il pouvait faire fit de prudence et si le démon voulait en profiter aussi alors il serait très heureux de lui offrir un peu de paix.
Aziraphale aurait dû savoir qu’il ne fallait jamais souhaiter quelque chose trop fort car bientôt, la petite clochette qu’il avait tenu à installer en premier, comme pour baptiser sa librairie, tinta joyeusement. Il fixa l’individu s’avancer tranquillement puis constata à haute ce qui le dérangeait :
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Sleep Well
Fanfiction"Et si jamais ma pauvre âme amoureuse Ne doit avoir de bien en vérité, Faites au moins qu'elle en ait en mensonge." Louise Labé : tout aussitôt que je commence à prendre. C'est bien connu, le démon dort tout un siècle...dort-il réellement au moins...