L'heure de perm' passe à une vitesse folle.
Nous échangeons des anecdotes avec Lily, Eli, Math et Julius – malheureusement Perle a cours d'anglais avec un autre prof. Chacun se demande quelles spécialités il prendra l'année prochaine ; nous devons rendre nos choix provisoires dans une semaine. Le sujet de l'éval prochaine de maths ainsi que celui des résultats de physique-chimie nous préoccupe autant, si ce n'est plus, que le débat pour savoir pourquoi les policiers n'avancent pas dans leur enquête. C'est vrai que nous n'avons que peu entendu parler de cette histoire. Tout le monde semble au courant que Céline Grondin a été tuée –l'identification du corps s'est faite rapidement, cette fois – mais personne ne se demande pourquoi exactement l'investigation patine.
Tête renversée en arrière, accoudée à la table, je suis la conversation d'une oreille distraite. Nous sommes sous le préau à ciel ouvert, le seul du lycée, et les nuages qui défilent au dessus de nous m'attirent plus que les êtres vivants, actuellement. Depuis quarante-cinq minutes que la perm' a commencé, j'ai déjà repéré un ornithorynque, un phénix déployant ses ailes et une marmite créole déversant son riz sur un poisson à tête de cheval. Il fait chaud, sinon lourd, et il va sûrement bientôt pleuvoir ; la masse cotonneuse dans le ciel se pare de sombres reflets menaçants.
Je ne peux m'empêcher de penser à mon père, coincé avec Mikkaelson et Jacques. Le pauvre, heureusement que James a cours et ne peut pas se pointer à la visite. Une vague sensation de malaise me revient à la pensée deJacques. Je ne l'ai jamais aimé, mais pour une fois ce sentiment était partagé. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme l'impression que Perez et lui se connaissent bien mieux qu'ils ne laissent le penser.
Et en plus Jacques aussi connaît la fameuse Loona. Elle devait être particulièrement importante pour que tout le monde semble autant au courant de son existence.
Depuis cinq bonnes minutes, Jenny jette compulsivement un œil à son téléphone. Lily remarque son manège et se moque gentiment:
— Tu es tant pressée que ça d'aller manger? Estomac sur pattes, va.
Ma meilleure amie ne décroche pas ses yeux du téléphone. Son expression se modifie légèrement, passant de l'amusement – l'anecdote d'Eli était particulièrement drôle –à l'agacement. Je commence à très bien connaître cette façon d'observer quelque chose. J'ai du mal à saisir pourquoi exactement, mais je trouve que depuis quelques temps la relation entre Jenny et Mikkaelson s'est considérablement détériorée. Elle était déjà en colère contre lui lorsque je l'ai rencontrée pour la première fois, mais ce n'était pas si électrique entre eux. À présent, j'ai l'impression que chaque mot prononcé de travers suffit à déclencher une embrouille. Et c'est vrai également par rapport à Perez et Mikkaelson. Le climat doit être propice aux hostilités, je suppose.
Le "woush" d'une notification se fait entendre. Julius lève les yeux au ciel ( il a horreur des personnes qui laissent leurs notifications sans les désactiver ) et Jenny plonge sur son téléphone. Après deux secondes tendues où mon amie observe le message sans rien dire, elle jette violemment son outil informatique sur la table et part vers les toilettes, probablement pour se rincer la figure.
L'intégralité de la table s'observe, gênée. Une bonne minute de blanc s'écoule avant que Math ne se décide à réagir:
— Eh bien. Elle a vu les résultats de l'éval de physique ou quoi?
— Je ne crois pas, doute Julius en se saisissant du portable fautif. Matez moi ça, c'est juste un message d'une certaine Haylee qui parle d'un repas ce midi.
— C'est le prénom de sa mère, j'explique. C'est tout ce qu'elle lui a dit?
Interloquée, je me penche sur l'écran. En effet, Haylee, appelée "Mom" dans le répertoire, écrit à sa fille qu'elle sera présente au "repas de réconciliation Perez-Mikkaelson", pour calmer un peu le jeu entre les deux ennemis. Super, je songe. J'aime bien Haylee, elle est tranquille et n'aime pas plus les conflits que moi. J'ai le souvenir qu'elle s'entendait bien avec ma mère, en plus. Que du bénéfique. Mais alors pourquoi Jenny a t'elle réagit de cette manière?
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Éducation mortelle
Misterio / Suspenso"Le monstre existe peut-être...Peut-être que c'est seulement nous." -William Golding, Sa Majesté des Mouches. Lorsque la police est incapable de démêler les ficelles d'une affaire de meurtres en série, il faut que deux mineures s'en mêlent. Valenc...