Elle ouvre les yeux.
L'air froid siffle entre les arbres, appelle comme un murmure, un souffle dans la brume, la présence tant attendue. C'est dans le craquement des arbres que, seul, résonne son nom...
Cassien...
Elle le sent dans sa chair qui se glace de ses jambes à son cou, la lumière bleutée louant sa présence. Elle reconnaît cet endroit. Pas d'esprit, mais de cœur. Comme une empreinte sur son âme laissée par la main d'un autre.
La première chose sur lequel son regard se pose sont les cieux à peine visibles. Elle ne reconnaît pas ce voile sombre et constellé qui recouvre le bleu commun du ciel. Les arbres s'échouent dans le noir et son cœur gronde dans sa poitrine. Soudain, un bruit attire son attention et son regard rencontre celui d'un cerf aussi blanc que les neiges de Crisvel. Ses bois semblent faits de fils d'or tandis qu'il émane de cet être la pureté même du monde. Elle regarde la bête baignant dans la même lumière d'un air fascinée, quand soudain, le silence la frappe. Un silence étrange, qui lui est inconnu, celui des grillons chantant, du vent qui souffle, du bruissement des feuilles... Comme un chant de vie et de douceur qui invite les paupières à se clore et les poumons à respirer...
Mais l'air se fait lourd. Le silence s'arrête. Le vide résonne comme une mise en garde dans une forêt d'ombre. Les arbres bougent sans bruit et le vent caresse sa peau sans prévention. Elle veut parler, mais sa voix se noue, se resserre autour de son cou comme une corde, la laissant suffocante. Les mots dans sa tête rendent sa pensée brumeuse tandis que le silence devient assourdissant. Les grillons crient comme le vent dans ses oreilles et le monde tourne, semblable à une tempête. Les mains sur sa tête essayant en vain de couvrir le bruit et elle tombe à genoux sans pouvoir crier. Sa peau se refroidir, son cœur semble mourir. Le chaos se fait tout autour d'elle, grand et bruyant. Jusqu'à ce qu'un bruit l'arrête.
Jusqu'à entendre une goutte.
En relevant la tête, le cerf est toujours là, aussi immobile et majestueux. L'effroyable tempête rendue écho du lointain. Sa gorge se dénoue enfin, mais son esprit reste inquiet et perdu quand elle entend une nouvelle fois la goutte s'échouer.
Encore et encore.
Les yeux plongés dans ceux de l'animal, ils finissent par dériver sur ses côtes rubéfiées.
Encore.
L'herbe devient rouge, le sang couleur son pelage, mais le cerf ne bouge pas. Goutte, par goutte, par goutte, le vert se tâche.
Toujours à genoux, sa respiration se calme sans pour autant arrêter ses larmes. Sa pensée s'éclaircit, aussi silencieuse que la forêt. Ses lèvres s'ouvrent sans conviction.
- "ce n'est pas réel..."
Au même moment la tempête revient, arrachant les arbres en emportant ses mots au passage.
Cenestpasréelcenestpasréel
Et les gouttes continuent de tomber de plus en plus fort, ses cris perdus dans le vent tandis qu'ils se brisent en échos sur les feuilles volantes.
La forêt répète jusqu'à assembler son appel à sa voix. Jusqu'à déformer les mots en réponse mordante.
CassiencenestpasCassiencestréel
Le cerf reste imperturbable comme une statue de marbre. Il regarde, ses yeux brillants d'or pur. Il saigne.
Elle tend la main pour l'atteindre
Mais la lumière revient.
Éblouissante.
****
Quand ses yeux s'ouvrent une nouvelle fois, c'est pour rencontrer le plafond de sa chambre ébloui par le jour traversant sa fenêtre. Elle se tourne et regarde le ciel bleu qu'elle connaît tant. La ville, comme à son habitude, baigne dans la lumière chaleureuse. Les grillons et le vent continuent à tourner sous sa peau mais sa chambre apporte le confort du réel. Alors lorsqu'elle se redresse et pose ses pieds sur le sol la forêt et le Cerf s'éloignent avantde s'effacer comme tout mauvais rêves.
VOUS LISEZ
Le Sang du Soleil
FantasyIl était une fois le Soleil. Mais il était également la Lune. Dans ses rêves elle voit le Cerf, déesse qui a donné sa vie pour l'humanité. Éveillée, c'est le chat qui l'observe, Dieu renié qui traîne la nuit. mais ce ne sont pas ses seuls cauchemars...