« Cassie Hington ! »
Comme à chaque fois qu'on prononçait mon nom en entier, les gens se retournaient. On s'attendait à voir une américaine pulpeuse, n'importe qui avec ce petit côté étranger qui collerait avec son nom. Mais bien rapidement, l'espoir retombait. Je n'étais que le prototype de milliers de françaises, mon nom aux consonances américaines ne devait ses origines qu'à mon père. Ce connard, parce que oui appelons un chat, un chat, peu après avoir mis enceinte ma mère, avait mis les voiles vers son pays natal, prenant peur devant la responsabilité d'un enfant à charge... Je t'ai fait peur, Papa ? Tu m'en vois ravie.
Je m'avançais sous le regard sévère de la petite rondouillarde qui me servirait de professeur de français cette année. Dernière année de français, l'année prochaine bye bye Flaubert et les lectures analytiques, bonjour la philo ! Je ne sais pas si c'est un bon deal... Elle me désigna une des places au milieu de la salle de classe. Génial, une prof qui plaçait ses élèves, viendrais-tu du Moyen-âge par hasard ? L'avantage avec un nom comme Hington, c'est qu'on est ni premier, ni dernier, donc on n'a pas une sale place si on est placé. Je croisais le regard brun d'Hugo Accaba. Désespéré, il fixait le bureau du professeur. Cela faisait cinq ans que mon meilleur ami était dans ma classe, et cela faisait cinq ans qu'il était toujours face aux bureaux des professeurs. En allant m'asseoir, je lui adressais un petit signe de la main discret, du genre « je compatis, mec. » et il me répondit d'un signe de la tête du style « t'inquiètes, en sortant je me pends dans les chiottes ».
Avec Hugo, rien n'était compliqué. On se comprenait par signe ou par regard, on n'avait pas besoin de mots, ou alors vraiment quand on essayait d'être discret pour mimer qu'une personne était un canon. En même temps, comment voulez-vous mimer une bonasse avec des gros nichons sans passer pour un gros pervers sexuel ? Bref, Hugo et moi, c'était une longue histoire d'amitié. En fait, je crois que je me suis toujours mieux entendu avec les garçons. Je les trouve moins compliqué, moins... chiants. Bien entendu, comme toutes les petites filles, j'ai eu une meilleure maie en primaire, mais celle-ci m'avait fait parvenir une très gentille lettre quand elle était partie vivre en Belgique, comme quoi elle ne voulait plus jamais avoir affaire à moi. Faut croire que je suis condamnée à ne pas avoir d'amie fille, mais au final c'est peut-être mieux ainsi...
Je sortis ma trousse, et une feuille. Comme à chaque début d'année, les professeurs vous demandent d'écrire votre nom, prénom, âge, profession souhaitée, loisirs et pourquoi on a choisi notre filière, et si on a des problèmes personnels dont on aimerait leur en parler. Ok, seriously les gars, a quel moment vous vous êtes dit que vous et moi on pourrait être potes et se parler de nos vies autour d'une bière ? D'ailleurs je n'ai jamais bu de bière et je ne vais sûrement pas commencer avec un vieux prof tout gris et fripé en face de moi. Mais madame rondouillarde a échappé à la tradition...
« Ne sortez pas de feuilles. Je ne vous demanderais pas vos noms et prénoms, tout simplement d'abord parce que je les aie sur ma feuille et sur mon plan de classe, et que deuxièmement, je m'en fiche un peu de savoir qui s'appelle Roger et qui ne s'appelle pas Bernard. Pour moi, vous êtes des élèves et je vous traiterais comme tels. Pas besoin de savoir votre identité, car cela vous inciterait à vouloir savoir la mienne, ce que je n'ai aucunement envie de faire. Pareil pour vos professions et filières d'affectation, si vous êtes ici, c'est que vous assumez pleinement vos actes comme de vrais futurs adultes que vous êtes. Si on en perds un en route, c'est qu'il n'avait pas les épaules pour suivre cette filière, et je conseille vivement à tous ceux qui ont forcé le passage en ES de demander le redoublement dès maintenant. Personne ? Bien, je vous aurais prévenu, maintenant sortez vos manuels. »
La classe resta silencieuse. Peu à peu, les élèves se penchèrent vers leurs sacs pour poser le gros manuel rouge sur leur table. En trois minutes, cette prof venait de gagner le respect de 30 élèves d'un coup.
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«Et par centaines, on s'y fracassera.»
Teen Fiction« On n’a pas fini de grandir tant qu’on ne s’est pas pris ce mur qu’est le monde adulte. Bonjour, je m’appelle Cassie, et voici ma course jusqu’à ce mur. » ©