Le désert n'a jamais bien traité les enfants qui naissent en son sein. Certains ont fait le choix de partir et ont péri dans les eaux profondes. D'autres ont tenté le diable de vivre sur des terres arides et quasi sans ressources, gisant dans la misère la plus absolue, soumis par la nature et par la chaleur. C'est confronté à se dilemme que les parents du plus grand des trois frères Hatyara, Koghan Hatyara.
Le père Hatyara fut le premier à proposer à un passeur d'utiliser ses trois fils en tant que monnaie d'échange pour pouvoir franchir la frontière de Vessaghon. La mère n'eut pas son mot à dire lorsque la garde de ses trois enfants fut en jeu. Les parents Hatyara ne furent récompensés que d'un coup de lame rouillée sur leur nuque, laissant les fils seuls avec leur chagrin et leur haine du grand désert, épargnés par les brigands.
La fratrie autogérée ne fut pas mince affaire pour Koghan qui dut s'occuper de ses deux frères, assurer leur survie, les aider à s'adapter au désert. Lui qui, semblerait-il, ait hérité des capacités de ses parents à survivre au chaud et aux dangers d'une terre infinie et aride. C'est lui qui dû entraîner ses frères à voler les réserves de vivres aux voyageurs égarés, à défier les moines provenant des sommets rocheux du désert, à dominer les créatures les plus terrifiantes qui habitent le désert et à ne se faire confiance qu'à eux, entre frères.
C'est malheureusement ce qui perdit Koghan, c'est la confiance qu'il pouvait attribuer envers ses frères, sa capacité à leur confier même les plus insignifiantes tâches. Ce fut moins un problème pour le second du trio que pour le cadet Sora, un enfant bon et perdu là où il était, cherchant mieux ailleurs là où Koghan et son autre frère cherchaient l'hostilité, la vengeance, à cracher leur haine du monde sur les premiers chiens errants qui traversaient leur regard.
Un jour, Sora prit la fuite et parvint à quitter le désert, laissant ses deux frères qu'il haïssait au plus haut point derrière lui, laissant Koghan seul avec son frère. Ce ne fut pas une grande perte pour ce dernier. Mais le trio étant devenu un duo, l'envie toujours plus intense de solitude rongeait Koghan. Cette obsession se confirma lorsqu'ils furent recueilli à leur adolescence par un agglomérat d'habitations décrépies du désert, un bourg que l'on ne pourrait même pas appeler village tant sa densité est faible, son taux de mortalité est haut et ses habitations sont fragiles et instables.
Koghan était le seul frère des deux restants à ne pas avoir digéré l'abandon par sa famille. Les voir à sang devant lui et épargné par leurs assassins n'a pas été une vengeance qui lui a permit d'atteindre satiété. La différence de caractère entre les trois frères initiaux ne s'est jamais expliquée que par la génétique, ces derniers ayant vécu les mêmes expériences abominables de vie jusqu'à présent. Là où le frère restant de Koghan était accueilli en rescapé auprès des autres individus qui vivaient dans ce camp, lui se tenait volontairement à l'écart. La présence d'hommes et de femmes autres que son frère ne lui rappelaient que la froide trahison de ses géniteurs, ayant vendu leurs fils pour assurer leur survie dans un désert où l'enfant est monnaie d'échange.
Laissant à présent son frère seul, Koghan ne mettra pas longtemps à quitter le village.
C'est cela même qu'il reprochait à ses parents depuis leur trahison. Lui qui avait été abandonné avec ses frères vient désormais d'infliger le même sort au dernier membre de sa famille. Le frère en fut désemparé, enragé, s'en suivit une lutte acharnée dans le sang et le sable, où chacun put décharger sa haine du monde, du désert et de l'extrême solitude.
L'ainé fut victorieux. En silence et laissant son frère presque pour mort. Quand il fut sauvé par les autres Koghan était déjà parti en sachant pertinemment qu'il ne reviendrait jamais. Il avait fait l'égoïste choix d'achever la dernière part d'humanité dans son frère et dans son propre cœur pour satisfaire sa soif de solitude et de vengeance. Il n'avait pas déserté les mains vides, ayant volé vivres, ressources et tout espoir qu'il avait trouvé sur son chemin en partant. L'aridité de son environnement et de son cœur lui avaient retiré toute notion du bonheur, il n'était plus qu'un pantin égoïste et gisant qu'aucun fil ne retenait.