La Rose Éternelle 1, Draggilys

Chapitre 20, Prince déchu

J'ai depuis longtemps cessé de lutter contre les lien qui entravent mes poignets derrière mon dos. Je manque plusieurs fois de tomber dans l'atmosphère déjà sombre de ce que je suppose être un sous-terrain. Le bandeau sur mes yeux a été serré le plus fort possible, si bien qu'aucune clarté ne peut venir contrer la noirceur de ce lieu.

Je suis jeté sur une chaise sans ménagement et le bandeau disparaît la seconde suivante. Mes pupilles peinent à s'habituer à la lumière de l'unique ouverture, large de quelques centimètres seulement.

Je tente de me concentrer suffisamment pour observer le reste de la pièce. Mon ouïe revient au moment où Tancah s'agite tellement qu'elle manque d'en tomber. Un frisson me parcourt. Il semble tellement bien dans mon corps qu'il décide de s'y installer confortablement à m'en glacer les os.

- Salaud !

- Moi aussi, je suis ravi de te revoir, Tancah.

Cette voix me rappelle quelque chose. Je mobilise l'intégralité de mes souvenirs, et lorsque je me souviens enfin, tout s'éclaire. L'homme qui se tient devant Tancah était dans la grotte.

- Je te l'avais dis, que nous allions nous revoir. Mais je ne pensais pas que tu m'amènerais un si beau cadeau.

Son regard croise le mien. Froid. Pétrifiant. Il veut la Rose. Je le savais, au fond de moi, mais une fois encore, je refusais de me l'admettre. Comme un idiot.

- Il y a trois ans, tu m'as filé entre les doigts, ma belle. Je ne te laisserai pas te faire la malle une deuxième fois.

Je commence à comprendre. Cet homme et Tancah se connaissent. Je pose la question avant même que mon cerveau n'ai validé la formulation :

- Pourquoi vous vous connaissez ? Qu'est-ce-qui s'est passé, Tancah ?

Le coup dans les côtes que je reçois me coupe la respiration. Mes yeux me brûlent alors que Tancah l'asperge de son venin :

- Tu m'as ensorcelée. Tu m'as forcée à revenir jusqu'à toi. Si tu veux te venger, vas-y, amuses-toi ! Mais laisse-le tranquille. Tu auras plus de possibilité de te divertir avec moi qu'avec lui.

- Mais qui a dit que je voulais te tuer ? Il est vrai que, quand tu es partie, j'en ai eu envie. Mais j'ai bien fait d'attendre, tu vas m'être encore plus utile aujourd'hui. Tu m'a ramené la clé dont j'avais besoin pour éliminer mon père et gouverner comme je l'entends.

Ilko ! C'est le fils de Nodi, le roi de Kragona ! Pourquoi je ne l'ai pas reconnu avant ? Qu'est-ce-qui m'a empêché de voir qui il était ? Je l'ai vu de nombreuses fois au palais, lorsqu'il accompagnait son père. Son visage a changé. Il est devenu plus dur, plus anguleux, plus machiavélique.

Tancah s'agite sur sa chaise à mesure qu'il s'approche. Pas par peur. Par désir de se battre et d'en finir. Les deux soldats qui la tiennent sont stoïques, bloquant la chaise. L'un d'eux resserre les liens de ses poignets, l'enrageant encore plus. Elle se débat avec une telle force que sa plaie s'est rouverte. Une petite flaque de sang brillant aux rayons de Lune recouvre le sol.

Il s'arrête à quelques centimètres de son visage et recule d'un coup. Il s'essuie du revers de la main sa joue, sur laquelle Tancah vient de cracher. La gifle qui s'en suit est monumentale. Son visage pâle se tourne vers moi. Il s'approche avec autant de délicatesse qu'un félin et, à ma grande surprise, me détache. Les deux gardes me traînent à travers le long couloir vers une autre cellule où le premier détail que je remarque est une présence. La femme de la grotte.

Une sorcière. Les agissements de cette femme sont de notoriété publique. Le monde entier sait pourquoi Nodi l'a répudiée. Elle aime tellement son fils, à qui elle a transmis une partie de ses pouvoirs, qu'elle fait tout son possible pour le mettre sur le trône. Jusqu'à organiser plusieurs tentatives de meurtres sur son ex-époux :

- Si tu fais ce que je te dis, elle ne te fera aucun mal, m'assure Ilko.

Je commence à le croire mais une sensation étrange dévore mes entrailles, comme si quelqu'un était entré dans mon esprit :

- Je vais t'expliquer comment te sortir de là. Nous pouvons nous allier. J'ai beaucoup de pouvoirs, tout ce qu'un homme cherche, je peux l'obtenir. Sauf la Rose. Malheureusement, elle t'as choisie. Je sais que tu n'en feras rien, tu n'as pas l'étoffe d'un roi. Même d'un prince. Par contre, si tu m'aides à la trouver, nous accomplirons des merveilles. Le monde nous obéira.

Je me sens flancher. La mère d'Ilko ne cherche pas à cacher son intrusion dans mon esprit :

- Comment voulez-vous que je vous aide ? Je ne sais presque rien faire qui pourrait vous servir...

- Tancah t'as appris comment manier une arme, je suppose ?

- Elle n'en a pas eu le temps.

Il s'adosse à un mur, prenant son menton dans sa main. Il joue quelques secondes avec sa barbe mal taillée, puis reprend :

- C'est dommage. Parce que tu devras t'approcher de mon père et lui trancher la gorge.

Un hoquet de surprise m'échappe. J'entrouvre les lèvres mais il ne me laisse pas le temps de commencer :

- Soit tu élimines Nodi, soit tu croupis avec Tancah ici jusqu'à ce que tu meures de faim et soif.

Tancah ! Comment avais-je pu l'oublier ? Cette sorcière a réussi à me la faire oublier pour que j'accepte la proposition macabre de son fils, pour que je me sente tellement seul que je sois obligé de m'allier à lui. Ilko a commis l'erreur de la mentionner...

- Non ! Jamais je ne m'allierai avec vous ! Je ne vous laisserai jamais lui faire quoi que ce soit !

Mes mots ont franchi mes pensées seuls, avant qu'il ne soit trop tard pour les arrêter. Ilko me fixe avec un regard d'enfant suppliant un adulte de lui donner des friandises. Il me fait peur. Surtout quand il s'éloigne vers la porte et que je sens mon âme quitter mon corps.

XXX

Ce que je suppose être la nuit est passé, car lorsque je me suis réveillé, j'avais moins mal à la tête et la sorcière n'était plus là. Je suis Ilko comme une ombre dans les couloirs, et même voir Tancah dans l'état le plus pitoyable qui soit ne me fait pas réagir.

Toute émotion l'a quitté, sa tête pend mollement sur le côté. Du sang ruisselle le long des mèches de cheveux qui se sont échappé de sa tresse, sa tunique est déchirée en une multitude de trous dans son dos. Ilko s'agenouille auprès d'elle, lui soulève le menton et plonge ses yeux dans les siens. Malgré son épuisement, elle parvient à répondre à Ilko quand il lui propose son offre :

- Ta gueule, j'ai les oreilles qui sifflent.

Le prince la relâche et se recule, presque avec dégoût. Il m'entraîne vers le couloir :

- Faites qu'elle accepte.

Ce n'est que quand la porte de ma cellule se ferme que je prends conscience du sens de ses mots. Des larmes coulent sur mes joues. Le sol humide et puant me laisse indifférent. Deux images se battent dans ma tête. Une où je me vois roulé en boule, seul dans la forêt, et l'autre où resplendit le visage de Tancah.