Chapitre 56 / Le passé

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Il existait un monde dans lequel Darius Ryker aurait pu être l'heureux ou malheureux époux de Mlle Mathilde Dumont. Pendant près de deux ans, leur deux familles s'était côtoyées à New-York, alors que les enfants étaient déjà adolescents. Ami avec Peter Dumont, le frère de Mathilde, Darius voyait la jeune fille régulièrement. Il avait alors développé une passion secrète pour cette drôle de sœur, plus jeune de deux ans, qui faisait de l'escrime, jouait de la batterie et rêvait d'une moto.

Les deux garçons faisaient partie de l'équipe de natation du lycée, mais ni l'un ni l'autre n'était assez régulier pour intéresser les entraîneurs. Peter avait intégré l'équipe uniquement parce que c'était la tradition familiale. Darius, parce qu'il aimait nager, mais il avait déjà un rapport à l'eau très particulier. Il n'appréciait pas la compétition en bassin, mais adorait se challenger lui-même dès qu'il était dans l'océan. Lutter contre la violence de la nature, la force inépuisable des éléments, étaient bien plus satisfaisant que de battre un autre nageur dans un bassin où tout était contrôlé : de la température aux matière des maillots. Avec sa stature, sa blondeur et sa nonchalance naturelle, il avait très rapidement eu une réputation de transfuge, un réfugié de la côte ouest égaré trop à l'est. Un surfeur sans sa vague.

Darius avait un succès fou auprès des filles en général, mais pas auprès de Mathilde qui ne le voyait pas. Il s'était fait une raison en prétextant qu'elle était de toute façon bien trop jeune pour lui.

Puis les Dumont étaient repartis en France. Et Darius s'était mis à idéaliser cette incroyable fille qu'était Mathilde, désormais hors de portée. Jusqu'à ce que lui-même, pour une partie de ses études, séjourne à Paris. Il avait eu l'agréable surprise de la revoir avec son frère, Peter. Son cœur s'était de nouveau emballé. Un peu trop vite cependant, car Mathilde ne l'avait même pas calculé. Elle l'avait regardé sans le voir, avec ses yeux de fille inspirée et inspirante, mais à des milliers de kilomètres de lui. À l'époque, il avait été blessé. Il se croyait tellement amoureux.

Et puis, il s'était rendu à l'évidence : l'indifférence de la jeune femme ne lui déchirait pas réellement le cœur. Seul son orgueil de mâle en avait pris un coup. Rien d'irréparable en soi. D'ailleurs, à l'époque, il s'était trouvé une Juliette parfaite pour se consoler. Mlle Dumont était cependant toujours restée celle qui avait fait frémir son cœur pour la première fois.

Bien plus tard, il avait appris que non seulement, il n'était pas son type, mais surtout, pas son genre. Même si elle n'avait jamais rien révélé à personne, il suffisait de voir le regard qu'elle posait sur certaines femmes pour comprendre que Mathilde ne rêvait pas de se marier à un beau mâle de son espèce comme ses parents l'espéraient pour elle.

Ce soir-là, la jeune femme était plus magnétique que jamais. Ses longs cheveux noirs et soyeux qu'elle portait sans aucun apprêt apparent, encadraient un visage aux formes anguleuses, aux sourcils marqués et au regard sombre. Son long corps androgyne revêtu pour l'occasion, d'un tailleur pantalon sexy, dont la veste s'ouvrait légèrement sur sa peau dorée, ondulait, encadré de son père et de sa mère, tous deux très bon chic bon genre.

Une coupe de champagne à la main, Mathilde ne regardait, ni Darius, ni Jung, mais Lupita, qui se sentit rougir. Heureusement sa carnation atténuait l'effet tomate, en lui donnant un petit côté blush pimpant.

— Darius ! Quel plaisir de vous voir ! lança Mme Dumont en souriant. La rumeur était donc vraie ! Vous êtes bien revenu de vos îles paradisiaques !

Tout en s'étonnant de sa dernière phrase, Lupita sentit que cette femme était sincère. Contrairement à Harriet, Mme Dumont ne s'imposait pas. Ryker l'avait laissé s'approcher en souriant.

— M. et Mme Dumont ! Mathilde. Quel plaisir. Vous allez bien ?

Pour la première fois depuis le début de la soirée, elle vit le visage de Darius se décrisper. C'était infime, mais parfaitement visible pour quelqu'un qui déchiffrait les lignes de code plus vite que la lumière.

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