Il est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire en possession d'une bonne fortune doit vouloir se marier. Cette vérité est tellement ancrée dans l'esprit des familles que lorsqu'un tel homme s'installe dans leur voisinage, il est immédiatement considéré comme la propriété de l'une ou l'autre de leurs filles. Il était pourtant une famille chez qui cette assertion ne se vérifiait pas, celle des Darcy de Pemberley.Récemment mariés, M et Mme Darcy n'avaient pas encore d'enfants et vivaient uniquement avec la sœur de ce dernier, Georgiana Darcy. Bien que celle-ci soit encore célibataire, son frère ne cherchait pas à tout prix à la marier, voulant par dessous tout qu'elle soit heureuse, dans un mariage d'amour comme celui qu'il venait de contracter. A défaut, il n'avait aucune objection à ce qu'elle partage pour toujours leur vie. Cet état d'esprit était de plus partagé par Elizabeth, sa chère épouse, qui nourrissait pour sa sœur par alliance une tendre affection doublée d'un respect et d'une entente qui allaient au delà de ses espérances.Georgiana, elle-même, ne se complaisait pas dans l'hypothèse et l'espoir d'une future union conjugale. Sa vie avec son frère avait toujours été plaisante et l'adjonction récente d'une belle-sœur, sa chère Elizabeth, avait approfondi cette félicité. Elizabeth, par son espièglerie et son esprit acéré égayait des journées qui bien qu'agréables auparavant, étaient néanmoins empreintes du sérieux de son frère. L'attitude même de ce dernier s'était considérablement allégée depuis son mariage et les fréquentes taquineries de sa femme sur son orgueil. Le tendre sentiment que se témoignaient son frère et sa belle-sœur eut pu donner à Georgiana l'envie de se marier mais elle savait qu'une telle harmonie n'était pas monnaie courante dans les affaires conjugales. M et Mme Darcy eux-même avaient failli ne pas le connaître, l'un par orgueil, l'autre par préjugés. Enfin, le souvenir humiliant de son erreur de jugement envers M. Wickham, le fils du régisseur de Pemberley et un fieffé coquin, la mortifiait encore et ne faisait que renforcer ses doutes quant à sa faculté de raison concernant le sujet du bonheur conjugal.Ainsi, lorsque M. Hendloe, à la mort de ses parents, devint le nouveau maître de Nordland House, l'une des demeures du voisinage immédiat de Pemberley, cela ne fit chez Darcy et Elizabeth que très peu d'émule. Seule la perspective de renouer une ancienne relation fut envisagée et discutée. Du côté de Georgiana cependant l'effet ne fut pas le même. M. Hendloe avait été l'un de ses compagnons de jeu lorsqu'elle était enfant et elle l'avait toujours passionnément aimé. Cet amour avait été dévorant tout au long de son enfance et de sa jeunesse. Lorsqu'il était parti pour ses études, elle ne l'avait plus vu qu'en de rares occasions et avait essayé de se résigner. Il serait probablement bientôt marié, elle aurait été ridicule de continuer à soupirer après lui. Savoir maintenant qu'il était de retour, toujours célibataire ravivait en elle un océan de sentiments. Elle essaya pourtant de se raisonner. Ils ne s'étaient pas vus depuis plus de 6 ans et il n'avait jamais montré un intérêt autre qu'amical envers elle. Il fallait qu'elle se ressaisisse avant de le rencontrer ou elle semblerait ridicule. Quelques jours plus tard, Georgiana tentée par l'éclat du soleil qui brillait si rarement en cette saison décida d'aller se promener. Elle avait besoin d'air frais pour freiner ses pensées qui ne tournaient plus qu'autour du même sujet. Son frère était absent et Elizabeth répondait à une missive de sa chère sœur Jane ; Georgiana décida donc de sortir seule dans le parc de Pemberley.L'air était frais et pur, le ciel d'un bleu cristallin et les dernières gouttes de rosée paraient les couleurs du parc de reflets irisés. Quelques écureuils couraient le long des branches des arbres centenaires qui cernaient la demeure. Sans doute se pressaient-ils de finir leurs réserves avant l'arrivée de l'hiver. Encore faudrait-il ensuite qu'ils retrouvent leurs cachettes pensa t-elle d'un air amusé. On entendait dans l'air le clapotis de la rivière et le pépiement des quelques oiseaux qui n'avaient pas fui vers des contrées plus chaudes. Le soleil, bien que timide, réchauffait agréablement les joues de Georgiana qui faisant fi des diktats de la mode concernant la blancheur de la peau, tourna avec plaisir son visage vers l'astre. Avisant un versant de colline particulièrement ensoleillé, Georgiana décida d'y mener ses pas. Elle marcha longtemps au gré des divers sentiers. Le manque d'exercice dû au mauvais temps lui avait considérablement pesé et elle se délectait de cette journée aux faux airs de printemps. Émerveillée par la nature alentour, elle errait sans but, sans repère, et finit par ne plus savoir où elle se trouvait. Les arbres qui l'entouraient, érables habillés d'or roux, chênes majestueux aux troncs énormes et aux branches nues ou peupliers fantomatiques, bien que formant un magnifique écrin lui cachaient la vue et la laissaient désorientée. A l'ombre des arbres, l'air était plus frais et elle sentit le froid l'envahir. Légèrement inquiète, elle accéléra le pas et, avisant, une hauteur proche et dégagée, décida de s'y rendre afin de se repérer. Elle marcha les yeux fixés sur son objectif, son attention entièrement dirigée vers ce sommet et ne vit pas l'ornière sur son chemin. Surprise, elle ne put se rattraper et chuta lorsque son pied s'y posa. Elle cria et s'affaissa dans l'herbe humide. Elle tenta de se relever mais ses jupes s'étaient emmêlées rendant l'exercice ardu. Elle entendit alors un bruit de cavalcade et vit apparaître un cavalier qui freina son cheval, descendit en hâte pour se précipiter vers elle et lui tendre une main secourable. Georgiana, perturbée par cette apparition soudaine ainsi que par sa chute, omit la main et se contenta de lever les yeux.Le pèle-mêle d'émotions qu'elle ressentit alors fut sans commune mesure avec son trouble antérieur. Son cœur s'emballa, son esprit cessa toute considération qui n'était immédiatement liée à cet homme. Le monde autour d'eux sembla soudain flou, relégué au simple rôle d'écrin à leur rencontre. Elle se riva à ses yeux, ses yeux qu'elle connaissait si bien, ses yeux qui jamais n'avaient cessé de la hanter. Elle y retrouva l'éclat plein de malices, les paillettes qu'ils faisaient naître dans le bleu de ses yeux et comme si les années s'effaçaient elle se retrouva hors du temps, le cœur palpitant, parcourue de frissons. Rien n'avait changé ; ses années à se persuader qu'elle n'éprouvait plus rien n'avaient été que mensonges. Devant elle, M. Hendloe se dressait, semblant lui-même pétrifié. Ses yeux, figés, comme hypnotisés, ne quittaient pas Georgiana. La main qu'il avait tendue pour l'aider à se relever resta dans les airs. Le moment sembla se cristalliser autour d'eux. Ce fut Georgiana qui la première se ressaisit. Elle saisit la main tendue et se redressa avec toute la grâce qu'elle put trouver en pareilles circonstances. Le cavalier, sortant à son tour de sa torpeur, s'exclama alors : - Georgiana ? Si je m'attendais à...Georgiana s'avisant alors, mortifiée, que ses errances l'avaient menée sur le domaine de son voisin le coupa :- Je vous prie de croire, Monsieur, que je ne me dirigeais pas intentionnellement vers votre demeure.- Monsieur ? Mais Georgiana...- Je dois partir, veuillez m'excuser !Et sur ces mots, elle ramassa ses jupes et s'enfuit en courant. Ce n'était certes pas digne d'une dame mais elle n'était plus à cela près. Comment avait-elle pu être aussi inattentive ? Qu'allait-il penser ? Ses joues rougirent de honte à cette idée. Depuis qu'elle avait été certaine que ses sentiments étaient à sens unique, elle avait tant œuvré pour que jamais il ne rende compte du tourbillon d'émotions qu'il provoquait en elle. Et voilà qu'aujourd'hui, quelques jours seulement après son retour, il la trouvait marchant chez lui comme si elle cherchait à le rencontrer. Essoufflée, elle finit par apercevoir Pemberley. S'avisant qu'elle risquait de rencontrer quelqu'un, elle ralentit son pas essayant de retrouver son calme. Elle finit par s'arrêter près du ruisseau qui serpentait dans le domaine et s'assit sur un banc tout proche. Elle ferma les yeux, écoutant le clapotis de l'eau et le chant des oiseaux. Son cœur et ses pensées se calmèrent enfin, et elle put réfléchir plus calmement aux derniers évènements. Bien sûr, elle savait qu'il était de retour mais elle avait pensé qu'elle aurait le temps de se préparer à leur rencontre. Il aurait été invité à Pemberley, elle l'aurait su plusieurs jours avant et aurait eu le temps de se raisonner. Certes, elle rêvait encore de lui et s'éveillait chaque fois le cœur douloureux. Mais quoi d'étonnant à cela ? Elle n'avait pensé et aimé que lui durant tant d'années, passé tant de temps avec lui, grandi avec lui. Elle s'était façonnée à son contact, il faisait partie d'elle. Mais les sentiments amoureux devaient disparaître. Elle savait que jamais ils ne seraient payés en retour, il valait donc mieux qu'ils s'éteignent. Cette rencontre impromptue la chamboulait d'autant plus que tous les sentiments qu'elle pensait avoir étouffés étaient tous ressortis à la surface, déterrés par un seul regard. Elle repensa à son étonnement et à la douceur de sa voix lorsqu'il avait dit son prénom. Il aurait du l'appeler Miss Darcy mais elle ne s'en outrait pas. Ils usaient naturellement de leurs prénoms lorsqu'ils étaient enfants et dans son cœur il était toujours «James».Ses pensées la menèrent vers ce jour où il était parti pour Oxford, lui disant à peine au revoir. Il n'était alors que rarement revenu et Pemberley n'avait bénéficié de ses visites qu'à deux reprises au cours desquelles il avait à peine regardé Georgiana. C'est alors qu'elle avait su avec certitude qu'elle n'était pour lui qu'une ancienne compagne de jeux, qui n'avait plus sa place dans sa vie d'adulte. C'est peu de temps après que Wickham était arrivé dans sa vie, lui promettant monts et merveilles. Elle s'était sentie aimée et avait foncé dans cette illusion. Pourtant jamais il n'avait fait naître en elle ce tourbillon d'émotions. Cette erreur lui avait appris à se méfier encore plus de ses ressentis. Plus jamais elle ne se laisserait guider par autre chose que la raison. Elle suivrait en cela les principes de son frère, même si lui-même les avait légèrement laissés de côté lors de sa rencontre avec Elizabeth. Cela avait été bénéfique pour lui mais le pari était trop hasardeux pour que Georgiana ose le prendre. Calmée, elle décida de rentrer. Elle se dirigea directement vers sa chambre, désireuse de ne pas croiser Elizabeth sachant pertinemment que celle-ci lirait très vite le trouble sur son visage. Elle demanda à sa femme de chambre de lui préparer un bain espérant y trouver oubli et apaisement.
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Georgiana Darcy
FanfictionA la fin d'Orgueil et préjugés, Elizabeth et Darcy connaissent une fin heureuse. Mais Georgiana n'a pas la sienne. Ce livre raconte la suite d'orgueil et préjugés en se concentrant cette fois sur le destin de Miss Georgiana Darcy.Georgiana