J’ai la tête qui tourne. Il m’est de plus en plus difficile de garder les yeux ouverts. J’ai la sensation d’avoir comme un casque sur la tête qui appuis sur mes paupières pour me forcer à fermer les yeux. Me laisser entraîner par cette obscurité qui me tend les bras est une idée tentante mais un nouveau coup de poing reçu en plein visage me ramène brusquement à la réalité de cette soirée. L’homme qui se tient devant moi est deux fois plus imposant qu’un homme lambda est supposé l’être. Je pense qu’il atteint facilement les dimensions d’une armoire à glace. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris de le provoquer, je n’avais aucune chance de sortir indemne de ce corps à corps. D’ordinaire, je n’aime pas me battre, mais parfois donner des coups peut être un bon exutoire. Et ce soir j’en avait besoin. Tout est partie en vrille.
Premièrement, ma copine m’a quitté. Je ne l’aimais pas, elle ne m’aimait plus. D’accord. Mais la vérité fait toujours un peu mal. Deuxièmement, ma famille insiste pour que je vienne les voir à Noël. Évidemment je n’irai pas. Mais le problème, c’est que je vais encore devoir leur rappeler pourquoi je ne veux plus les voir et ça va encore leur faire du mal. Croyez-le ou non, je n’aime pas faire du mal aux gens. Et pour finir, depuis un mois, un petit malin s’amuse toutes les nuits à venir taguer des insultes sur la devanture de la librairie dans laquelle je travaille. Mon patron, qui soit dit en passant est un vieux con, est persuadé que je suis l’auteur de ces œuvres artistiques au style plutôt douteux. Je passe donc depuis trois semaines, tous mes putains de week-ends à nettoyer à l’alcool à brûler la façade de cette boutique de merde pour que la semaine suivante elle soit de nouveau dégueulasse. Mon patron pourrait me renvoyer directement, mais non, ce sadique préfère me priver du peu de temps libre dont je dispose en me faisant croire qu’il fait preuve d’une grande générosité en ne me dénonçant pas à la police.
Bref ! En prenant sur le fait ce petit malin en train de bousiller le mur du magasin avec sa peinture qui pue, j’ai légèrement pété un câble.
Un énième coup de poing m’atteint au visage. Je voulais lui régler son compte mais finalement c’est moi qui me fais tabasser. Cet homme est en train de s’acharner sur moi. Je pense qu’il n’a pas aimé que je le traite de sale con et que je menace d’appeler les flics. Si mon apparence ainsi que le regard des autres comptaient pour moi je t’enterais peut-être de protéger les zones sensibles de mon visage, mais comme je n’en ai rien à faire, je reste là, les bras ballants, le dos plaqué contre le mur. Et puis de toutes façons, le sang qui coule sur mes yeux ainsi que le craquement d’os que j’ai cru entendu tout à l’heure, m’indique qu’au moins une de mes arcades sourcilières ainsi que mon nez, ne sont déjà plus de la partie.
Au bout de quelques minutes mon agresseur, à bout de souffle, se recule pour contempler son œuvre. Le résultat doit être à son goût car il décide de s’arrêter ici et de reprendre son graffiti là où il l’avait laissé avant que je l’interrompe.
Doucement je glisse le long du mur jusqu’à ce que mes fesses rencontrent le sol en béton. Je pourrais partir. Il commence à faire froid, je suis blessé et un homme que je pourrais qualifier comme étant une personne plutôt violente se tient à deux mètres devant moi. Mais non. Je reste assis là, les bras autour de mes jambes, la tête sur les genoux comme un enfant.
Inconsciemment au début, je lève la tête pour observer cet homme dos à moi. Mes yeux à demi entrouverts suivent lentement la courbe de sa nuque, la ligne de ses épaules puis de ses bras et arrivent sur ses mains recouvertes de mon propre sang. Je frissonne. Il semble concentré sur ce qu’il est en train de peindre, ses mouvements sont précis. Je pense qu’il a totalement oublié ma présence derrière lui. Mon regard continu sa route plus bas, jusqu’à ses fesses. C’est dingue, cet homme a le physique d’un mannequin.
Sans doute quelques minutes plus tard, je ne sais pas exactement, cet homme dont j’ai de plus en plus envie de connaître le prénom, se retourne après un dernier jet de peinture. A cet instant, j’en conclu que j’ai dû prendre un sacré coup sur la tête car je le trouve canon. Sans un regard dans ma direction il prend son sac et s’enfuit en courant. Je suis presque déçu.
Lentement, en m’aidant d’un lampadaire à ma droite, je me relève. Et comme si rien ne c’était passé, je rentre chez moi.
L’eau chaude de ma douche me pique le visage, mais je reste dessous pour essayer de détendre mes muscles tétanisés. Au bout d’un quart d’heure j’abandonne. Je jette un regard furtif dans le miroir. Je ne suis pas à mon avantage. Ma lèvre inférieure est coupée, mon arcade droite pisse le sang tout comme mon nez qui n’a pourtant pas l’air cassé finalement. En grimaçant je désinfecte tout ce bazar et pause une compresse au-dessus de mon œil avant de m’allonger sur mon lit. Je ferme les yeux mais je sais très bien que je ne dormirai pas cette nuit.
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Thomas & Camille - Seuls contre nous-mêmes
RomantikQuand on déteste c'est qu'on a aimé, c'est qu'on aime encore...