Chapitre 12

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Bien du temps s'était écoulé depuis que Gabriel soit asservi.

Celui-ci remplissait même les tâches les plus ingrates de manière rapide et efficace, sous les yeux moqueurs et haineux du personnel royal. Tout cela lui était familier. Il s'efforçait d'ignorer et d'attendre patiemment, guettant la première ouverture qui s'offrirait à lui pour faire basculer la situation en sa faveur. Il avait réussi à négocier une piteuse chambre poussiéreuse dans laquelle se reposer plutôt qu'une cage humide, et il lui arrivait parfois, après être enfermé dans celle-ci pour la nuit, de s'effondrer de fatigue.

Il sentait au fond de lui l'énergie s'en aller peu à peu, alors que la moindre des tâches lui demandait de plus en plus d'effort. Il était tout juste suffisamment nourri pour continuer de travailler, et les jours se ressemblaient tous. A peine avait-il le temps de finir une pièce qu'elle était déjà salie par d'autres, qui ternissaient volontairement son travail acharné. Il avait bien vite constaté que les domestiques ne faisaient plus que le strict minimum afin de laisser l'esclave qu'était devenu Gabriel le faire à leur place.

Il arrivait même parfois que le chemin des deux ex-époux se croisent : Gabriel, à quatre pattes pour nettoyer le sol, voyait passer Vicente qui ne lui accordait même plus un regard, sous les rires discrets du personnel qui assistait à la scène.

Loin était la liberté dont il rêvait. Tout était devenu si loin. Il n'était plus la douce du roi, la belle jeune femme au teint radieux, aux cheveux d'or, couverte de luxueuse parures. Non, tout ce qui lui restait était un ridicule exomide sombre légèrement déchiré et le poids d'un honneur tout aussi souillé que lui sur ses épaules.

Ce fut un matin comme les autres. Gabriel était disposé d'une liste interminable de corvées à faire avant la fin de la journée, sous la surveillance avisée d'un nouveau gardien. Chacun d'entre eux se montrait particulièrement hostile à son égard et en profitait pour décharger sa frustration : ainsi, ils passaient leur journées à l'insulter, le malmener ou l'humilier lorsque le travail n'était pas satisfaisant à leur goût. Gabriel ne répondait que très peu, non pas que cela ne le démangeait pas de leur rendre l'hostilité, mais parce que le peu de fois qu'il eut l'audace de le faire, il en payait le prix fort.


-Du nerf, toi ! Qui t'a autorisé à t'arrêter ? hurla le gardien dans ses oreilles.


Celui se trouvait tout proche de Gabriel, à examiner chacun de ses faits et gestes. Il attendait visiblement la première erreur qu'il ferait pour lui sauter au cou.

Gabriel s'empressa de reprendre sa tâche qui consistait ce matin à changer les linges de lits pour les nettoyer à la main. Ceci n'était pas ce qui lui était le plus pénible de faire, s'il oubliait qu'il y avait bon nombre de chambrées à s'occuper dans un palais aussi grand que celui-ci.

Soudain, il sentit une main agripper fermement ses cheveux et tirer sa tête en arrière dans un geste si brusque qu'une vive douleur traversa sa nuque. Il ne put s'empêcher de grimacer de douleur sous le regard vicieux du gardien.


-Cela fait longtemps que j'attends que tu sois sous ma charge. Tu ignores à quel point j'étais impatient de te voir dans cet état. ajouta-t-il, la mâchoire crispée.


Sa poigne se fit plus ferme encore. Etrangement, celle-ci rappelait à Gabriel une étrange sensation et, comme une évidence, un moment bien précis lui revint en tête :Lorsqu'il était encore sous la tutelle d'Ether et qu'ils étaient sortis pour acheter diverses marchandises, son père adoptif s'était éloigné pour acheter des pommes, et ce qui s'apparentait à un charmant garçon l'avait accosté à ce moment.

Le regard de Gabriel se posa rapidement sur le visage de l'homme à côté de lui. Il l'examina rapidement et la ressemblance le frappa tout d'un coup. Ce même regard, ces mêmes traits du visage... à l'exception de son nez désormais légèrement tordu puisque Gabriel le lui avait cassé, après que l'homme l'ait agressé.

Ces deux-là s'étaient déjà croisés bien des années auparavant.

Son sang ne fit qu'un tour. Il tenta de se retirer, en vain. Il avait beau mettre toutes ses forces pour reculer son visage du sien, l'homme semblait déterminé à ne pas le laisser partir, cette fois.


-Retire ta main dégueulasse avant que je t'étripe, sale porc ! hurla-t-il en se débattant encore.

Son cœur se mit à battre à tout rompre. Comme auparavant, la même peur lui revint au creux de son ventre. Une peur qui le faisait se sentir vulnérable. Il n'imaginait pas revoir cet homme un jour, encore moins dans de telles circonstances. Se sentir ainsi lui était insupportable et, comme un mécanisme de défense qui s'activait, sa peur se transformait en rage qui portait à ébullition dans son corps.


-Comment cela se fait-il que tu sois ici ? questionna-t-il, tremblant de nervosité.

-J'ai des amis haut placés qui ont mis cette affaire à la trappe. Rien ne s'est jamais passé. Il a suffit de quelques années de silence pour que tout le monde oublie.

-Cela ne m'étonne pas de Vicente d'accueillir des misérables tels que toi...

-Tu penses cela car il t'a accueilli, toi. Navré de te décevoir, ce n'est pas lui qui m'a ouvert les portes du palais. Tu te tourneras vers notre supérieure, Jade. C'est elle qui recrute les gardiens.


L'homme poursuivit un récit que Gabriel n'écoutait plus. Tout ce qui lui importait sur le moment et de trouver un moyen de fuir de cette pièce. Il ignorait ce que le gardien lui voulait, ni ce qu'il préparait de faire. Il ne voulait pas le découvrir.

Il pouvait voir sur le visage de ce dernier tout le plaisir malsain qu'il prenait à voir la femme qui l'avait autrefois repoussé dans cette position d'infériorité.


-Je te rassure, même si un peu moins radieuse, tu es tout aussi attirante qu'autrefois. Vraiment, je te trouve fascinante. Cependant, on aurait découvert que tu n'es pas ce que tu laissais paraître. Est-ce vrai ?


Son étreinte se serrait davantage au fur et à mesure qu'il parlait. Gabriel, lui, restait étrangement silencieux, étant bien trop concentré à examiner le comportement de l'homme en face. Il avait conscience qu'il ne ferait plus le poids contrairement à la précédente fois. Les forces lui manquaient, une quelconque sécurité lui manquait.


-Tu faisais la fière la dernière fois que je t'ai vu, tu vas m'en coller une aujourd'hui aussi ?


Gabriel lui cracha au visage. Sous la surprise, le gardien le poussa en arrière avant de finalement le lâcher. Gabriel heurta le sol de plein fouet en voyant le gardien tomber sur le lit dont il s'occupait un peu avant.


-Espèce de sale garce ! cria-t-il en s'essuyant précipitamment le visage, la mâchoire serrée.

L'homme en face se releva immédiatement et le blond n'attendit pas un instant de plus pour en faire de même. Avant même qu'il ne puisse comprendre totalement ce qui se passait, il le vit se ruer dans sa direction.

Sans prendre le temps de réfléchir, Gabriel saisit une petite table de chevet se trouvant à côté qu'il écrasa sur l'homme juste avant qu'il ne lui saute dessus. Des éclats de bois volèrent dans toute la pièce dans un bruit assourdissant. Le gardien, visiblement déstabilisé, s'écroula presque au sol. Gabriel en profita pour lui tourner le dos et prendre la fuite.

Il se jeta sur la poignée de la porte et sortit de cette pièce de malheur, pour finalement tomber sur un couloir vide et immense. Il hésita un instant sur la direction à prendre, ce qui fut une erreur : son ennemi lui fonça dans le dos, le projetant violemment contre une immense colonne qui soutenait le plafond. Encore sonné par le choc, son corps glissa le long de celle-ci.

Avant qu'il ne touche le sol, il sentit une main empoigner son cou et le soulever et une autre l'accabler de coups. Certains étaient dirigés en plein torse, d'autres vers son visage désormais endolori.

Soudain, une voix puissante les interpellèrent brusquement.

L'Agneau et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant