Tragédie

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Paris/Garnier - 16h00
ELSA
Je n'aurais pas dû partir autant en avance. Je me gèle à attendre Alessandro. La brise vient me piquer le nez et ma respiration vient former un nuage délicat au-dessus de mon visage. Le ciel est dégagé, et la Lune est visible. Paris est calme. La plupart des commerces sont fermés et les Parisiens sont occupés à préparer les fêtes de Noël. C'est une période de paix que j'adore.
Je me tourne vers l'Opéra, décoré de guirlandes lumineuses.
À chaque fois que je vois l'édifice, j'ai les larmes aux yeux. Il est si beau. Si grand. Si majestueux.
Il est un palé aux fées et j'aurais pu être l'une d'elles. Mais le destin avait apparemment d'autres projets pour moi.
Mon plus grand rêve est maintenant un amas de poussière qui demeure là, inerte dans ma mémoire.
Mais les souvenirs refont parfois surface, lorsqu'on s'y attend le moins...

Garnier, 3 ans en arrière.
-1,2,3...1,2,3... gardez le rythme mesdemoiselles. Veillez à votre arrondi. Très bien Lyla. Elsa, attention à tes pointes !

Le soleil vient taper sur nos tempes mouillées par la sueur. Sous les toits, la chaleur est insupportable. Mais la passion qui nous anime est plus forte et nous aide à supporter la douleur engendrée par les pointes.
La sonnerie retentit.
Tous les petits rats accourent dans un doux vacarme de chaussons de danses vers les vestiaires, pour se rafraîchir et se changer.

-C'était un bon cours ! S'exclame Loup à mon intention.

-Plutôt, oui. Mais je trouve qu'on devrait encore retravailler les arabesques, j'ai parfois l'impression que l'on n'est pas très bien synchronisées...

-Ooooh, tu exagères ! On est parfaites ! Et toi encore plus Elsa, tu es la plus talentueuse de nous toutes.
Je lui souris.
Même à bout de force, cette fille reste radieuse. Ses boucles brunes, qu'elle coiffe en chignon haut, lui donne des airs de femme fatale et ses yeux en amandes sont en harmonie avec ses pupilles vertes.
J'espère que l'on restera amies longtemps.
Notre professeure, madame Coutre, nous rejoint à la sortie de la salle de danse. Elle est sévère, mais au fond, on sait bien qu'elle est bienveillante et qu'elle ne veut que notre réussite.
Elle est une ancienne danseuse étoile, dont le nom est connu de tous. Dans les couloirs, les rumeurs disent qu'un jour, elle a battu un record du monde de fouettés.
Nous l'admirons toutes secrètement et espérons lui ressembler un jour. 

-Mesdemoiselles, comme vous le savez, aujourd'hui c'était votre dernier cours avant la représentation sur la scène de Garnier, qui aura lieu demain soir. Je ne doute pas de vos compétences, tout se passera bien, vous allez tous les enchanter. Je suis fière du chemin que vous avez parcouru.
Étirez-vous bien ce soir pour éviter les crampes, et tâchez de passer une bonne nuit.
Elle nous regarde attentivement et souris gracieusement.
Bonne soirée mesdemoiselles, conclu la grande dame avant de tourner les talons.

Ces mots nous vont droit au cœur. Recevoir ce genre de compliments de la part de son entraîneur, c'est le plus beau des cadeaux.

Ce soir-là, je suis partie me coucher, légère et heureuse, sans imaginer une seule seconde ce qu'il allait se passer le lendemain...

Dans les coulisses, nous attendons patiemment que le rideau rouge s'ouvre et que la douce mélodie s'élève dans la salle de spectacle.
Cette immense salle dorée, richement décorée qui nous fait rêver depuis que nous sommes petites.
Nous allons enfin danser dessus et pour la première fois de notre vie : devant un public.
L'excitation des danseuses se fait ressentir dans les moindres recoins de la pièce. Nous n'avons pas besoin de nous parler, ni de nous regarder pour comprendre que ce soir, est l'aboutissement de mois et de mois de travail acharné.
Nous devons réussir. Nous n'avons pas le choix. Nous jouons toutes inconsciemment pour notre ego et notre honneur.
Loup s'approche de moi.

-Oh mon Dieu ! Comme j'angoisse ! S'exclame-t-elle.

-On a beaucoup répété Loulou, tout se passera bien ne t'inquiète pas. On va gérer comme jamais !

Je tente de la rassurer comme je peux, mais en réalité, je suis tout autant stressée que ma meilleure amie.
J'ai peur d'oublier la chorégraphie ou de tomber en dansant.
Mais j'ai confiance en nous, nous pouvons y arriver.
C'est mon rêve depuis ma plus tendre enfance, je ne compte pas abandonner.
Loup tourne sur elle-même, l'air sceptique.

-Dis, tu trouves pas que ça sent mauvais ? Me dit-elle.

C'est vrai que depuis quelques minutes, je sens comme une odeur de brûlé qui envahit doucement l'atmosphère.

-Si, un peu... c'est sûrement une lampe en train de griller, ou alors un câble en surchauffe... tu sais, je ne suis pas mécanicienne, lui dis-je en riant.

Elle rit et me souhaite bonne chance pour le spectacle, avant d'aller parler à un autre petit rat. 
Nous nous avançons une dernière fois vers notre professeure.
Elle nous encourage toutes une par une, nous rassurant sur nos points forts et nous encouragent sur nos atouts.
On voit la fierté briller dans ses yeux.
Elle est si belle notre grande dame.
Cette dernière s'empare du micro et s'avance sur l'illustre scène. 
C'est elle qui doit introduire la prestation au public.

Et je me souviendrai toujours...

-Mesdames et messieurs ! C'est un honneur de vous accueillir ce soir.

Ce moment funeste...

-Nos danseuses ont travaillé dur pour se produire devant vous.

À jamais gravé dans ma mémoire...

-Je vous souhaite de passer une bonne soirée en compagnie de la troupe Garnier ! Et...

C'est ce soir-là que Madame Coutre a perdu la vie, écrasée par ce projecteur.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 18, 2023 ⏰

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