Le Delirium Circus de Mademoiselle Delaney

59 7 12
                                    

Étape n°2 : Écrire une scène romantique visant à présenter la révélation des sentiments des deux amoureux.

Nombre de mots : 1280

Bonne lecture !

★★★

Rien n'était plus beau que de voir autour de moi la foule rassemblée par les petits crieurs que Georges avait engagés pour notre arrivée. C'était la même chose dans chaque ville que nous traversions et où nous décidions de proposer notre spectacle – que dis-je, nos représentations fantasmagoriques, nos numéros transcendants, nos exhibitions exceptionnelles !

Les roulottes bariolées attiraient également les regards, tout comme les rubans que nous accrochions aux selles et aux harnais des chevaux qui les tiraient. Je ne résistais jamais à une entrée en fanfare, je voulais qu'on nous voie, qu'on nous entende, que personne n'ignore notre présence. Les artistes qui ne conduisaient pas se levèrent pour saluer les habitants, par de grands gestes et des envois de baisers polissons. Je me levai à mon tour, la main accrochée à la balustrade.

Mademoiselle Delaney a le plaisir de vous apporter son merveilleux cirque en délire ! se mit à crier Georges dans un français parfait. Première représentation demain soir, à dix-sept heures !

Les enfants qui s'étaient approchés, les yeux brillants, partirent en courant pour prévenir leurs parents. Georges nous conduisit jusqu'au champ où nous avions l'habitude de nous installer, à chacune de nos visites à Bergegny, situé de l'autre côté de la ville. Le propriétaire nous rejoignit bientôt et je laissai Owen se charger de le payer généreusement.

Au petit matin, le chapiteau rouge était déjà dressé et les chiens nourris – nous n'étions qu'un petit cirque et je n'avais pas les moyens de nous offrir des animaux plus exotiques à présenter. Au milieu des roulottes garées en rond, Trudy et Guerric préparaient le petit déjeuner. L'odeur embaumait tout le camp, j'ouvris même ma fenêtre pour mieux la sentir. J'aurais reconnu le ragoût de Trudy entre mille, son mélange d'épices était unique.

Je lavai rapidement mon visage couvert de poussière et attachai mes longs cheveux pour les cacher sous ma gavroche. Je ne voulais pas que l'on puisse faire le lien entre Mademoiselle et moi. Certes, nous étions presque au vingtième siècle mais le monde n'était pas encore prêt à accepter un homme qui se sentait femme. Je ne pouvais être Mademoiselle aux yeux du monde que lors de nos représentation, mais j'avais la joie de pouvoir être moi-même auprès de ma famille circassienne. Eux, ils m'acceptaient dans tout leur bon cœur. Et puis, quelque part, cela donnait un peu plus de mystère et les spectateurs étaient curieux de ne jamais voir Mademoiselle Delaney en dehors de la scène.

Un cri, soudain, me fit relever les yeux de mon miroir, d'abord calme. Mes amis étaient parfois bruyants, si je bondissais au moindre son un peu fort, je n'en finirais pas. Et j'allais retourner à ma routine matinale quand un second cri retentit :

— C'est Frenchy !

Mon sang se glaça dans mes veines, je vis mon reflet devenir blanc.

— Allez chercher un médecin !

Je lâchai ce que j'avais dans les mains et sortis en courant de ma roulotte, sans même prendre le temps de refermer la porte. Mes pieds nus s'élancèrent sur l'herbe sèche, en direction des cris. Cela venait de l'aire aménagée pour que Georges puisse s'entraîner, quand j'arrivai près de la palissade, Trudy sortait. Pâle, elle aussi.

— Il s'est pris un couteau, me dit-elle simplement.

— Comment ça, un couteau ? rétorquai-je en criant. C'est lui qui les lance !

Elle se mordit la lèvre et haussa les épaules avant de se pousser pour me laisser passer. J'entrai en trombe, si j'avais pu claquer une porte, je l'aurais fait. Non seulement j'avais peur, mais à présent j'étais aussi furieux. Je commençais à comprendre ce qui s'était passé.

— Te fâche pas après Frenchy, murmura Colin, agenouillé près de Georges. C'était mon idée.

— Je croyais que j'avais déjà refusé cette idée, il y a trois mois !

Je me pinçai l'arête du nez pour ne pas me mettre à hurler après ce pauvre gamin qui n'avait rien demandé à personne. Enfin, si, il avait demandé à Georges de le former au lancer de couteaux. Le problème était que Colin était doué – même si ce n'était pas toujours très flagrant – et que s'il se mettait, lui aussi, à lancer les couteaux plutôt que de simplement se placer devant la cible, Georges allait pouvoir mettre en scène les choses grandioses qui lui passaient en tête. Grandioses et dangereuses.

L'adolescent se releva pour, enfin, me laisser voir le blessé et il partit à son tour. Georges s'assit péniblement, la main posée sur son bras. La tache de sang sur sa chemise blanche s'agrandissait peu à peu, descendant le long des muscles de son bras.

— Keith, tout va bien, me dit-il avec son accent encore tellement marqué.

— Non, tout ne va pas bien ! Tu es blessé ! Je t'avais dit que je ne voulais pas que tu le formes ! Ce n'est pas pour ça que je l'ai engagé, et toi non plus !

Il fronça les sourcils, agacé que je lui hurle dessus. Je n'y pouvais rien. J'étais dans un tel état de nerfs que je tremblais. Comment pouvait-il être aussi irresponsable ?

— On a une représentation, ce soir, comment vas-tu faire ?

— Heureusement que Colin peut me remplacer !

Un sourire insolent glissa sur ses lèvres pour essayer de détendre l'atmosphère. Mais les mots me heurtèrent trop fort. Le remplacer ? Il disait cela avec une telle facilité, comme si sa santé n'avait pas d'importance, comme si sa présence n'en avait pas.

Comme moi, Georges avait été rejeté par sa famille. Après avoir travaillé dans différentes fermes, nos routes s'étaient croisées alors que le Delirium montait sur Paris. Il était fort, doué, volontaire. Nous lui avions fait une place dans notre famille comme pour combler une place qu'il était le seul à pouvoir prendre. Depuis près de deux ans, je m'échinais à lui ouvrir les yeux sur sa valeur qu'il ne cessait de dénigrer. Je n'avais jamais connu d'homme aussi bon que lui. Et, surtout, d'aussi beau.

J'avais craqué. En quelques mois, j'étais tombé dans ses bras à l'abri des regards, même ceux de notre famille. Cependant, nous étions deux hommes et cette chose qui se passait entre nous n'était pas sérieuse. Jamais je ne lui aurais demandé de prendre un si gros risque pour moi. Nous pourrions être arrêtés, jetés en prison. Ou pire.

Mais quand il parlait comme ça...

Plutôt que de rire, je me mis à pleurer.

— Tu n'es qu'un idiot ! Qui pourrait te remplacer ?

— Ce n'est pas ce que je voulais dire.

— N'as-tu aucune idée de la place que tu as dans ce cirque ? De ce que tu représentes pour nos amis ? Pour moi ?

Les larmes roulaient librement sur mes joues, si bien que je ne voyais même plus l'ange devant moi.

— Tout ce que tu as dans la tête c'est d'essayer des choses de plus en plus dangereuses, tu crois que je ne le sais pas ?

— C'est pour le bien du cirque. Le public aime les sensations fortes !

— Quel bien cela fera-t-il si tu te tues ? Qu'est-ce qu'on deviendrait sans toi ? Qu'est-ce que je deviendrais sans toi ?

Ses mains essuyèrent tendrement mes larmes et ses lèvres vinrent interrompre le flot d'inepties qui sortait de ma bouche. Cela m'apaisa, un petit peu. Je me reculai pour le regarder dans les yeux.

— Pardon, chuchota-t-il. Je ne voulais pas te faire peur. Mais tu sais que je ne compte aller nulle part, hein ? Moi non plus, je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi. Mademoiselle. Je t'aime bien trop pour oser l'imaginer.

Mon cœur rata un battement et cela dut se voir sur mon visage car son sourire insolent revint. Ce sourire que j'aimais tant, sur cette bouche que j'aimais tant, de l'homme que j'aimais tant.

— Je t'aime aussi, Georges, avouai-je, la voix tremblante.

Il scella notre aveu par un énième baiser.

Romances extraordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant