Du bruit, des lumières et des gens : voilà les choses que remarquait Soïli au fur et à mesure qu'il avançait dans le colisé, vers l'octogone surélevé par des marches hautes et menaçantes.
Il était encerclé par des gradins toujours plus hauts et noirs de monde. Des flashs bruyants et aveuglants fusaient autour de lui, scrutant ses moindres pas et expressions avec une précision indécente. Le brouhaha des cris surexcités des fanatiques semblait vouloir l'envahir aussi bien que l'angoisse qui menaçait de ressurgir des profondeurs de sa détermination.
Il ne voyait rien à part cette cage noire au tapis étrangement blanc. Elle faisait en fait partie des trois seuls éléments que les projecteurs mettaient en lumière.
Le premier étant, évidemment, Soïli et le dernier, son adversaire. Gessner l'aperçu une fois debout sur le tatamis immaculé, lorsque l'on ferma à clé la cage derrière lui. A l'entente de ce son métallique, il perdit pied avec la réalité et son corps fut comme surplombé par les images de ses choix passés : attendre Shun au parc, se rendre chez lui au petit matin, aller à la rue Wilson, se déloger, déscolariser, effacer toute trace financière des registres, signer ce contrat, s'entraîner, se battre, dormir peu, encaisser, subir, attendre, redouter...
Quand ? Quand avait-il tout gâcher ? A quel moment précis de sa vie s'était-il réellement condamné ? Il y avait-il pu y avoir un échappatoire ?
Il ferma les yeux, le cœur battant impitoyablement à travers chacune de ses veines. Il prit une profonde respiration et pinça discrètement ses lèvres. Comme ensorcelées, elles retrouvèrent le contact de Gun, les sensations qu'il lui avait procurées ainsi que le calme qu'il avait ressenti. Chaque centimètre de sa peau s'était enflammé non pas de ce feu embarrassant ou enrageant mais de celui qui consume toute crainte pour créer un vaste vide apaisant.
"Gagne" se remémora Soïli.
Il leva vivement ses paupières et constata l'homme qu'il devait exterminer. Ses épaules étaient larges et droites, sa poitrine semblait sur le point d'exploser tant il l'avait surgonflée par ses entraînements, ses abdominaux si bien tracés qu'ils finissaient par ressortir comme des pierres, sa taille paraissait plus épaisse que ses hanches, ses cuisses, quant à elles, possédaient moins de force que le reste de son corps mais restaient tout de même aussi fermes que des rochers. Il surpassait Soïli de quelques centimètres et son allure décontractée laissait transparaître son expérience.
Il s'agissait de Hans, un combattant vedette des juniors, le maître du spectacle. Il savait maintenir le public en haleine et les séduire par son style de combat.
Lorsque la foule apercevait une crinière rouge écarlate, elle savait qu'elle allait se régaler ; voilà pourquoi tout le monde hurlait tant. Voilà pourquoi, d'après les expertises, Soïli allait se faire massacrer.De ses yeux clairs, la star analysait le nouveau avec amusement en sautillant à pied joint pour maintenir ses veines enflées. Quelques instants plus tôt, avant que l'on ne présentât Gessner, Hans s'était amusé à défiler autour de l'octogone en saluant orgueilleusement ses fans, leur promettant, comme à son habitude, du sang.
Soïli enfila son protège-dent, resserra ses bandages et se prépara : bougeant d'un pied à l'autre en décrispant ses doigts à travers des mouvements secs et tendus. Puis, ayant ravivé la chaleur dans son corps, il roula ses épaules trois fois avant de se mettre à croupi, étirant une jambe puis l'autre sur le coté, sans perdre son adversaire ou le décompte de vu.
Cinq secondes.
Il se redressa et adopta une garde serrée de Muay Thai : les mains relevées au niveau de sa tête, le menton baissé et la jambe droite décollée de quelques centimètres du sol. Provocateur, Hans imita ses moindres faits et gestes, un large sourire aux lèvres.
Soïli ne se laissa cependant pas déstabilisé et retint sa respiration avant de contracter chaque muscles de son corps. Il vida son esprit.
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Hédonisme
Mystery / ThrillerÉcosse 1950 : Alors que l'économie du pays chute drastiquement pour plonger la population dans la misère, un nouveau système illégal se met en place. Né de la rage des banlieusards et des anciens combattants envers l'État dépendant de l'Angleterre...