Dix minutes en métro

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Je prenais tous les jours le métro pour me rendre l'université de Montréal. C'était une habitude bien ancrée dans ma routine sur laquelle je ne m'attardais pas d'ordinaire, mais aujourd'hui était différent. Dans le métro, les matins de semaines, tout le monde se connaissait sans se connaitre. Je connaissais ce petit groupe de collégiennes en jupe plissé qui gloussaient. Je connaissais ce monsieur qui occupait à lui seul deux sièges et qui fusillait du regard quiconque osait le dévisager. Je connaissais cet étudiant qui se balançait au rythme de sa musique. Je le connaissais lui, je la connaissais elle, je les connaissais tous.

Et c'est parce que les connaissais tous que je t'ai tout de suite remarqué. Tu n'étais clairement plus un adolescent, mais pas encore tout à fait un homme. Tu étais dans le bel âge. Tu avais la peau très bronzée et des boucles noirs et je me suis demandé si tu n'avais pas des origines sud-américaines. Tu étais rentré dans le wagon à pas lent, de ce pas qu'on a lorsqu'on pénètre dans un endroit qui ne nous est pas familier. Et ce devait être nouveau pour toi puisque tu tenais un plan du métro dans tes mains. Je me suis dit que tu devais être un peu étourdi car tu le tenais à l'envers. Les portes se sont refermées et tu as sursauté quand le train s'est remis en marche. J'ai mimé un bâillement pour camoufler mon rire qui se serait entendu dans le silence de la rame. J'ai décrété en mon for intérieur que tu étais mignon. Tu t'es mis à regarder autour de toi, comme si tu allais trouver dans l'agencement des sièges l'assurance que tu avais embarqué dans le bon train. Sans doute pas, vu la façon dont tu tenais ton plan. Tu avais tout du mec paumé.

Les collégiennes aussi t'avaient remarqué et t'ont observé à la dérobé en chuchotant entre elles d'une façon assez peu subtile qui t'a fait monter le sang aux joues. Tu as détourné le regard pour malheureusement scruter un peu trop longtemps le gros homme qui prenait deux sièges à lui tout seul et qui t'a lancé un regard noir. Tu as rapidement baissé les yeux vers tes baskets en rougissant de plus belle. Il semblerait que tu étais du genre timide malgré ta grande taille. Tu t'es accroché à la barre en balançant ton poids d'une jambe à l'autre et en collant un peu plus près ton sac à dos que tu avais posé à tes pieds. Tu semblais honteux de la place que tu prenais et on aurait dit que tu aurais voulu te faire le plus petit possible. J'ai réprimé un autre rire.

Au bout d'une minute ou deux, je ne sais pas trop, tu as fini par venir à bout de ta gêne et tu as relevé la tête, ton regard tombant dans le mien. J'étais prise en flagrant délit de voyeurisme. Tu as aussitôt tourné la tête pour la retourner une minute après, comme pour voir si je t'observais toujours. C'était le cas. Tu avais l'air embarrassé. Je t'ai fait un petit sourire parce que tu avais l'air d'être le genre de personne à qui on sourit et tu me l'as rendu avec quelques secondes de retard. Tu avais un joli sourire, bien qu'un peu crispé. Tu as de nouveau détourné les yeux pour à peine deux secondes plus tard les ramenés vers moi. Je t'observais toujours et j'avais conscience d'être horriblement malpolie. On a continué notre petit manège pendant un certain temps, je ne saurais pas dire combien. On s'est observé comme deux ados qui ne savent pas comment s'adresser la parole.

Je suis tombée un peu amoureuse de toi. Tu mettais des papillons et de l'éclat dans ma routine réglée comme une horloge. Je me suis dit que j'aurais pu te regarder sourire timidement comme ça encore longtemps. Et puis, n'était-ce pas une rencontre romantique? Deux jeunes gens qui se croisent dans le métro, qui s'observent, se remarquent et se sourit au beau milieu de toutes les autres personnes qui auraient pu attirer leur attention. Quelles étaient les chances qu'on se rencontre? Quelles étaient les chances que tu décides de monter dans ce train, dans ce wagon, toi qui, en plus, avais l'air de l'avoir choisi au hasard? Cela avait de quoi titiller mon côté fleur bleu.

Soudainement, la douce voix du métro montréalais nous a ramenés à la réalité en annonçant le terminus. J'avais raté de plusieurs arrêts ma station et j'allais très certainement être en retard à mon premier cours, mais je n'y pensais pas. Pour l'instant, ma tête n'était remplie que de toi. Le wagon s'est vidé de ses passagers et je t'ai perdu de vue. Je suis sorti rapidement à mon tour, pivotant sur moi-même pour essayer de te retrouver. Je m'imaginais comment je t'aborderais. Je te tapoterais l'épaule. Tu te retournerais en sursautant. Passée la première surprise, je m'imaginais que tu me sourirais. Je te proposerais mon aide pour t'orienter. Tu accepterais, tu n'avais pas l'air du genre de personne incapable d'accepter de l'aide par excès d'ego. Je te dirais mon nom pour t'inciter à me donner le tien. Peut-être oserais-je même te demander d'échanger nos numéros de téléphone? Peut-être accepterais-tu? Tu mettrais du temps à me rappeler à cause de ton évidente timidité, mais j'avais bon espoir que tu trouves le courage de le faire. Sinon, je pourrais toujours te rappeler moi-même, au risque de paraitre trop empressée.

Je te cherchais de plus en plus frénétiquement. J'avais hâte de concrétiser notre rencontre. Hâte d'entendre pour la première fois le son de ta voix que j'imaginais douce. Hâte que notre discussion soit suffisamment avancée pour pouvoir de demander d'où tu venais, pour voir si j'avais eu raison avec mes déductions à ton sujet. Je serais fière de moi si j'avais visé juste, je trouverais ça drôle si au contraire, j'avais été complètement à côté de la plaque. Tu vois, qu'importe la direction que prendrais cette première rencontre, elle ne pouvait pas être ratée. À mes yeux, elle ne pouvait qu'être parfaite.

La foule s'est dispersée. Les gens se dirigeaient vers la sortie ou vers leur correspondance. Je ne te voyais toujours pas. Je suis resté encore de longues minutes, espérant toujours apercevoir le haut de tes cheveux bouclés , malgré cet horrible pressentiment que l'on ressent lorsque l'on sait qu'on a raté sa chance. Dix minutes plus tard, il fut évident que tu avais quitté les lieux. Peut-être m'étais-je fait des films, peut-être m'avais-tu déjà oubliée? Peut-être m'avais-tu reléguée à une simple anecdote amusante, à laquelle tu repenserais quelques instants avant de l'oublier aussitôt. Je ne savais rien de toi, rien qui me permettrais de te retrouver. Je me sentis ridicule. Ridicule et triste.

Les jours d'après, en prenant le métro, j'espérais te revoir. Malheureusement, je ne t'ai jamais revu. J'ai finis par me dire que cette histoire n'avait au fond pas beaucoup d'importance. Cette brève rencontre n'avait pas dû durer plus de dix minutes. D'ailleurs, ce n'était même pas une rencontre, on ne s'était même pas parlés. Il ne s'était, à proprement parler, rien passé. Nous n'avions été que deux personnes qui avaient pris le métro et qui s'était retrouvés dans le même wagon, comme des dizaines d'autres personnes. Cela n'avait été qu'un événement tout ce qu'il y a de plus banal. Personne ne s'en souviendrait parce que personne ne l'avait vu. Moi-même je finirais sans doute par l'oublier. Le cours des choses n'avait pas changé ne serait-ce que d'un iota pour la simple et bonne raison qu'il ne s'était au final rien passer. Oui, cela n'avait été que dix minutes en métro.

Dix minutes en métroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant