25. Le fond du trou

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Jeudi

Les journées défilaient difficilement. Depuis qu'Abdel était tombé malade, il ne pouvait rien faire. Alors il restait ses journées allongé sur son matelas gonflable, amorphe. Et il n'en pouvait plus. Le matin, la sonnerie de Chiheb le réveillait, et il n'arrivait plus à se rendormir. Il passait ses journées à s'en vouloir pour tout, en attendant que Chiheb ne rentre, pour lui faire à manger et lui faire un peu la conversation. Il ne s'était pas rendu compte de son état mental, son état physique camouflait bien les choses, et c'était tant mieux. Il ne voulait pas revivre une conversation comme celle qu'il avait eu avec Will, avec ce silence qui voulait tout dire.

D'ailleurs, Will avait tenté de le joindre à plusieurs reprises. Mais jamais Abdel n'avait répondu. De toute façon, il n'était pas en état. Qu'allait-il dire après tout ? Désolé d'être le pire boulet que tu aies dû te trimballer ? C'était trop facile. Et Abdel ne voulait plus de la facilité. Toute sa vie, il avait été surprotégé, il fallait qu'il se prenne en main. Et ça commençait par accepter ses défaites et ses erreurs. Accepter qu'il était un poids pour les autres, et tout faire pour s'améliorer. Mais déjà, accepter c'était bien pour le moment. D'autant qu'aujourd'hui, il allait mieux. Il avait même pu se lever pour se préparer à manger, alors qu'il n'en avait eu la force que pour aller aux toilettes en quinze minutes les derniers jours.

Allongé sur son matelas, en train de lire un livre, il entendit les clefs dans la serrure et Chiheb entra. Abdel lui accorda un sourire et s'assit, délaissant le bouquin.

— Comment tu vas aujourd'hui ?
— Mieux ! Beaucoup mieux !

Il était sincèrement content de le voir, ça le remplissait de joie, comme s'il était parti plusieurs mois. Mais non, juste une dizaine d'heures. Chiheb hocha la tête, satisfait. Il retira sa veste, et l'accrocha au portemanteau, avant de venir s'assoir en face de lui. Abdel pencha la tête sur le côté, ne comprenant pas son attitude si sérieuse.

— Bon Abdel, je t'en ai pas parlé plus tôt parce que t'étais mal, mais vu que ça va mieux...

Il sentait mal cette histoire. Petit à petit, il perdit son sourire, ne comprenant pas ce que Chiheb pouvait bien lui vouloir.

— J'ai vu que Will essayait de te joindre depuis plusieurs jours. Tu lui as répondu ?

Alors c'était ça. Abdel pensait avoir été plus discret avec cette histoire. Il se ferma complètement, se contentant de répondre :

— Non. 
— Pourquoi ? Il a besoin de toi, Abriel a besoin de toi.

Il lâcha un rire nerveux, si Chiheb savait, il perdrait son ton encourageant.

— Je crois pas non.
— Mais comment tu peux dire ça ?
— Écoute Chiheb, tu sais rien de cette histoire, alors tu ferais mieux de rester à ta place.

Il regretta aussitôt ses paroles dures et agressives. Chiheb se ferma à son tour, apparemment vexé.

— Quoi ? Que je reste à la place du mec chez qui tu squattes ?
— Mais non, putain ! Juste... je sais que Will m'en veux, que Kahre m'en veux. Je le sais, c'est tout.
— Comment tu peux dire ça ! Will t'a déjà dit que ce n'était pas de ta faute, et il t'a accueilli les bras grands ouverts !

Abdel se mordit la lèvre, ne sachant que faire. Il savait que Chiheb ne lâcherait pas l'affaire, c'était comme ça, il était comme ça. Et après ce qu'il lui avait craché à la gueule, il le lui devait bien. Mais il ne voulait plus ressasser cette histoire. Il se fit violence et répondit :

— J'ai eu Will au téléphone, lundi, quand tu étais sous la douche. J'ai dit que Kahre avait raison. Que je gâchais toujours tout. Il m'a répondu que non. Mais quand je lui ai demandé si ça vie n'aurait pas été mieux sans moi, il n'a pas répondu. Alors j'ai raccroché.

Il tira nerveusement sur sa manche, voulant à tout prix cacher son crime. Ça craignait un peu, il n'avait désinfecté depuis, et n'avait pas changer de bandage. Mais ce simple geste alerta Chiheb, qui prit brutalement son bras et souleva la manche de son pull. Abdel ne put que reculer et s'exclamer :

— Tu fais quoi là !

Chiheb semblait dans un autre monde. Aucun doute, il avait vu. D'ailleurs, il lui ordonna :

— Retire ton pull et les bandes.

Sa voix était si ferme, il ne la lui connaissait pas. Alors, un peu hésitant, il prit les bords de son pull et le retira. Il s'affaira ensuite à retirer le bandage, mais il grimaça bien vite en sentant qu'il s'était accroché à ses plaies. Il tira d'un mouvement net dessus, s'arrachant des croutes au passage et refaisant couler le sang. Pas beaucoup, juste un peu, mais Chiheb sembla absorbé par ce spectacle. Mal à l'aise d'être exposé de la sorte, il détourna le regard. Mais quand il entendit des reniflements, il reporta ses yeux sur Chiheb et le découvrit en train de pleurer. Paniquant, il ne sut quoi faire, quoi dire :

— Pleure pas, c'est pas grave, ce n'était que sur un coup de tête, je recommencerai pas...
— Tu as essayé de te suicider ?

Son cœur rata un battement. Parce qu'en fait, il ne savait plus, il ne s'en souvenait plus. Le moment où il avait pris ce couteau pour se rayer les veines restait très flou dans sa tête. Il ne savait pas quelles pensées lui avaient traversé l'esprit, il ne savait pas pourquoi il avait fait ça. Il avait eu tout le temps d'y réfléchir quand il était alité. Mais rien ne lui était revenu. Alors il garda le silence, comme Will l'avait fait au téléphone. Chiheb déglutit, avant d'hocher la tête frénétiquement en pleurant de plus belle. Cela resta tel quel durant de longues secondes avant que Chiheb ne se jette dans ses bras. Il l'amortit comme il put, le serrant à son tour de toutes ses forces. À bout de souffle, il se mit lui aussi à pleurer à chaudes larmes.

— Je ne veux pas que tu meures Abdel...

Son cœur se serra en entendant cette voix si brisée, si fragile que Chiheb avait adopté. Alors il caressa son dos, ne sachant que lui répondre. Ce fut ainsi durant plusieurs minutes, jusqu'à ce que Chiheb se brise l'étreinte pour, le regard larmoyant, lui dire :

— Je t'emmène à l'hôpital. Tu ne peux pas rester comme ça. Alors on va aller aux urgences, comme ça tu pourras rapidement voir un psychiatre. On est d'accord ?

Abdel ne put qu'hocher la tête, mais ajouta une seule condition : ne pas être dans le même hôpital qu'Abriel.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant