Et les études sur ou les écrits sur la poésie provoquent en nous une impression bizarre, parce que leur intelligence, leur subtilité, leur finesse, contrastent avec leur ton à la fois naïf et prétentieux. Witold Gombrowicz, « Contre la poésie », 1847.
Lorsqu'on lit en homme pratique, raisonnable, impartial et réel, lorsque les déformations du cliché et des usages littéraires n'ont pas encore atteint la conscience et l'intégrité, on ne lit pas les préfaces universitaires, car passé les premières pages biographiques et informatives on n'y trouve pas ce qu'on veut, et, quand malgré l'ennui on s'obstine et persévère, le maniérisme du professeur paraît si impossiblement comique et absurde, avec sa défense opiniâtre de l'auteur et son imitation sans talent de style, son ridicule semble si outré et le procédé si systématique qu'on ne perçoit plus que ses défauts et son hypocrisie insus. On devine que l'exercice consiste pour eux à vanter l'écrivain, à dresser les métaphores des perfections du maître, de composer ainsi avec excès d'excuses et de louanges. Il faudrait qu'un jour on fît l'expérience de lui confier au débotté un extrait inédit de son auteur, de constater avec quel enthousiasme il l'accueille et le congratule, avant de lui indiquer que c'était pour le prendre au piège et qu'on a griffonné ces mots sur le coin d'une table.
Ce développement insupportablement laudatif est toujours particulièrement sensible en poésie, parce qu'alors, ce genre passant pour plus subjectif, il devient facile de relater en toute impunité ce qui pourrait s'y trouver et qu'on veut y voir, le réseau des symboles notamment, les intentions du poète, l'emmêlement de sa vie et de son œuvre, en somme tout ce qu'un esprit inconsistant de la faculté française aime à traiter parce nul ne lui reprochera jamais de faire des hypothèses d'interprétation sur ce qu'il ignore dès qu'elles sont aimables et de certaine humilité. Ainsi se définit l'étude critique contemporaine : la stratégie, pour ne pas être pris en défaut, est d'énoncer des vérités contradictoires qu'on lie en sauce confondante et mièvre, de ton similaire à l'auteur qu'on loue. Mieux vaut annoncer directement qu'on va prétendre n'importe quoi et que tout se vaut, mais en termes délicats, distingués, soigneux, tels que :
« Par la souplesse de l'énonciation, ainsi que par un certain goût pudique du secret, à peine perceptible parce que voilé sous les dehors de la spontanéité simple, la parole poétique demeure ouverte à des lectures multiples, qui la garantissent de tout figement. » (page 13) Il s'agit ainsi de se prémunir, par l'humanité que suggèrent l'éloge et la tendresse, de tout reproche contre ce qu'on va pouvoir inventer : noter qu'en l'occurrence, même l'affirmation de ce « goût du secret » de Valmore est si nuancée qu'on excuserait Mme Esther Pinon de l'avoir fabriquée ; et remarquer comme elle annonce d'emblée qu'elle taxera toute prétention de vérité d'odieux « figement » !
Il y a fort à parier que ma critique consistera pour elle en une monstrueuse lapidification.
En ce style obséquieux, il n'est pas besoin de vraiment saisir une chose pour en parler : il suffit de tourner toute observation en compliment presque insensé de préciosité pédante pour penser emporter les suffrages ; le commentaire littéraire, comme dans les concours de Lettres, devient un style et un ton, à défaut d'une recherche d'objectivité qui n'est pas supposée exister en sciences humaines. Qu'on tâche par exemple à expliquer ce que signifie la phrase suivante, qui devrait déjà consister en une explication :
« Et cette profonde humanité, la poésie de Marceline Desbordes-Valmore l'atteint moins en révélant les secrets d'une expérience singulière qu'en les brisant pour les ouvrir à l'universalité, moins en décelant les aléas de l'existence comme on ouvre une lettre cachetée qu'en les descellant comme on fait des pierres d'une porte murée. » (page 14) Il faut imaginer quelqu'un qui ne « révèle » pas des secrets mais qui les « brise » et les « ouvre », et qui, cette fois, les aléas de l'existence, ne les « ouvre » pas mais les « descelle » comme pierres : j'avoue que j'ai du mal à me figurer cela (on devine évidemment une tentative de jeu sur « déceler » et « desceller »). Charabia de professeur qui ne tient pas ses métaphores ou qui s'en va les chercher dans le répertoire des gros œuvres de maçonnerie !
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.