Quand j'étais enfant
C'est vers mes douze mois que mes parents constatèrent un retard dans mon développement. Je ne tenais pas ma tête droite, ne tenais ni assise ni debout, et ne prononçais encore aucun mot.
À notre arrivée dans le Limousin − papa, conducteur de trains à la SNCF, avait obtenu une mutation à Limoges afin de s'occuper de ses parents qui habitaient en Charente − mes parents décidèrent de faire appel à des professionnels pour s'occuper de moi.
J'entrai donc, à cinq ans, dans une petite école spécialisée, l'école Paul-Raymond avenue de la Libération à Limoges. Là, une pratique intensive de la kinésithérapie, de l'ergothérapie et de l'orthophonie me permit, peu à peu, de prononcer mes premiers mots, puis d'acquérir une certaine motricité, tout en démarrant ma vie d'écolière. C'est dans cette école que j'ai appris à lire et à écrire.
A sept ans, mes parents et les professionnels de santé remarquèrent que je souffrais d'un resserrement des cuisses beaucoup trop important dû à une contraction permanente de mes abducteurs. Une opération chirurgicale lourde était nécessaire. Après l'intervention, je suis restée un mois hospitalisée, recouverte d'une bande autocollante jusqu'aux pieds,
comme une momie. À mes pieds étaient accrochés deux poids pendus dans le vide. À ma sortie, je suis restée près d'une année immobilisée dans une « coquille », plâtrée des aisselles jusqu'aux pieds, une barre au niveau des genoux pour maintenir l'écartement de mes abducteurs. S'y ajoutait un bandage posé, très serré, autour de mes jambes.
Une ambulance me conduisait à l'école tous les matins et me ramenait à la maison le soir. Je conserve de cette période un souvenir de douleur omniprésente. Le traitement médicamenteux, un cocktail d'anti- douleurs, de calmants et de somnifères, était tellement lourd que le médecin de famille décida de l'alléger, redoutant, à terme, que je ne m'empoisonne.
Puis, à huit ans, je dus porter un appareillage appelé FEPS pour pouvoir me tenir debout et marcher à l'aide d'un déambulateur. Il était composé de tiges de fer qui partaient de l'extérieur des hanches en passant par le genou jusqu'au dessous du pied, puis remontait à l'intérieur des jambes jusqu'à l'aine. Ces tiges étaient articulées au niveau des hanches et des genoux pour me permettre de m'asseoir et marcher avec un déambulateur. Cet appareillage m'a accompagnée pendant dix années, jusqu'à ma majorité, de jour comme de nuit, à l'école et à la maison, sans pour autant m'empêcher de mener ma vie de petite fille.
Papa étant souvent en déplacement, maman s'occupait seule de la maison et des trois enfants. Parfois, le soir, elle nous couchait et s'absentait une
heure, le temps de ses leçons de conduite ou de code de la route. Ces soirs-là, j'avais très peur dans mon lit. Je redoutais un incident. Qui donc m'aurait levée et sauvée en cas de danger? Je ne trouvais pas le sommeil.
Aux yeux de mon frère Michel, de deux ans mon cadet, mon handicap n'existait pas. J'étais sa grande sœur, tout simplement. Dans la chambre, mon frère recouvrait parfois mon déambulateur de vêtements ou de couvertures trouvés là. Nous nous glissions alors dans cette cabane singulière pour y vivre nos aventures enfantines.
Maman non plus ne faisait pas de différence entre mon frère, ma sœur et moi, prodiguant à chacun un même amour, sans régime particulier. Lorsque je me retournais, m'adressant à mon fauteuil, je m'écriais : « J'en ai marre que tu sois toujours derrière mes fesses, toi ! », Maman éclatait de rire. Je me souviens du jour où, lui ayant fermement tenu tête, elle me saisit par un bras et une jambe pour aller me déposer sur mon lit, me laissant là jusqu'à ce que ma colère s'évanouisse. Ne pouvant quitter ma chambre sans son aide, je dus rester dans mon lit le temps imparti !
Je lui en sais gré aujourd'hui. Elle m'a montré que je suis une personne comme les autres et que je dois assumer mes actes sans toujours compter sur la clémence des personnes qui m'entourent. Sans le savoir, elle a mis entre mes mains, dès mon enfance, une arme d'une efficacité redoutable : la volonté. C'est
cette volonté qui me permettra, tout au long de ma vie, de faire mes propres choix et préserver ma liberté malgré ma différence.
Maman ne se plaignait jamais. Pourtant, malgré les apparences, ce n'était pas si simple pour elle de s'occuper de moi à la maison. Seule avec ses trois enfants, le manque de temps, mais aussi le lien mère- fille qui nous unissait, compliquaient les choses. Ses sentiments maternels interféraient parfois dans ses actes de tous les jours. La peur de me faire mal ou de me rendre malheureuse lui donnait l'impression que peut-être elle ne s'y prenait pas comme il faut avec moi.
Alors, à neuf ans, en cours moyen, je devenais interne à Beaune-les-Mines dans une structure accueillant des enfants et adolescents handicapés. En règle générale, la formule de l'internat était conseillée aux parents afin que leur enfant puisse devenir plus autonome. Dans mon cas, ce fut un peu différent. Après m'avoir décrit le nouveau centre et ses avantages, mes parents me laissèrent le choix.
Du haut de mes neuf ans, je décidai de partir, désireuse d'apprendre toutes ces choses qui me permettraient enfin de m'occuper de moi-même comme une enfant valide.
Comment aurais-je pu imaginer alors ce que j'allais vivre là-bas, cette abomination qui bouleversera ma vie entière et me volera mon enfance ?
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C'est la vie
De Todo« C'est la vie ! » est l'expression favorite de Patricia Bersiaud Faugère. Handicapée de naissance, Patricia nous livre ici, avec lucidité et sans complaisance, le témoignage de son combat de tous les jours pour réaliser son rêve de petite fille : d...