Chapitre 1 - Gabriel

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Je t'aime dans le temps, je t'aime jusqu'au bout du temps.

Et quand le temps sera écoulé, alors je t'aurai aimé. Et rien de cet amour comme rien de ce qui a été

ne pourra jamais être effacé.

Jean d'Ormesson

26 octobre 2022 

Parce que, comme moi, toi aussi tu m'aimes bien trop pour m'abandonner.

Ces paroles auront été les dernières que j'ai prononcé à ma femme ; trente secondes avant qu'elle ne quitte la maison pour rejoindre Genève. Les derniers mots qu'elle aura entendus de ma part avant que le drame ne la fasse disparaître à jamais, quarante-huit heures plus tard.

Depuis l'enfer, je danse une valse sans fin sous une pluie acide en compagnie de l'ultime discussion que j'ai partagée avec elle. Notre conversation se déploie dans ma tête, elle s'enlise toujours plus dans mes tissus ; tous ces détails, ce jour-là, je peux ressentir chacun de ces souvenirs s'enraciner en moi, comme les autres milliers qu'elle a déjà semés de son vivant. De cette finesse légère qu'elle portait sur elle jusqu'au ruban noir et rouge qui rehaussait sa saisissante chevelure brune, cet aspect de grande dame qu'elle émanait jusqu'au moindre trait critique et signé d'ironie sur son visage lorsqu'elle a ri à gorge déployée. Tout reste gravé comme sur une pierre tombale.

Elle faisait partie de ces individus si peu ordinaires, celles et ceux dont il nous est impossible d'effacer la trace dès l'instant où ils répandent leur empreinte dans notre existence. Bien des rencontres nous marquent pour mille raisons, et quelques-unes pour l'éternité. Qu'on le veuille ou non, certaines personnes ne s'oublient pas, jamais. Elles restent destinées à devenir omniprésentes même lorsqu'elles disparaissent.

Pour moi c'est ainsi que ça s'est terminé. Elle m'a flambé l'esprit avec un amour aux éclats de vie avant que je ne découvre son cœur éclaté. Et je ne sais toujours pas l'encaisser.

Ma femme. C'était un être exceptionnellement rare, un trésor que moi, pauvre allemand marginal et sans avenir, je n'envisageais pas de rechercher — encore moins de trouver. Mais, c'est en évitant l'opulence, et en sombrant dans une sorte d'exil de moi-même que la richesse humaine a fini par heurter mon goût à la vie. Profondément enfoui.

Ludmilla.

À l'époque, donner crédit à l'amour avec son grand A n'était pas ma priorité. D'ailleurs, le mariage n'a jamais été inscrit dans mes principes fondamentaux à accomplir non plus. En somme, il n'y avait pas grand-chose dont j'ai voulu accorder foi ; ou peut-être si, juste aux putes avec un misérable p. Tomber in love d'une meuf... Non, ce n'était pas moi, pas mon genre du tout ; je n'étais là que pour tirer profit de ces filles que je choppais à tout va, j'étais en quête d'un maximum de sensations autres que la banalité de la vie quotidienne.

Je crois que c'est parce que j'ai toujours été inexistant, aux yeux de ce monde ingrat qui ne m'appartenait pas, auprès de mes propres parents et peut-être davantage envers moi-même. Mais parmi cette foule, Millie m'a vu, elle. Elle m'a extirpé des abysses où je continuais de sombrer, jour après jour.

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⏰ Ultimo aggiornamento: Dec 04, 2023 ⏰

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