Chapitre 19 : Je peux survivre à une danse

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Emy croisa le regard espiègle d'Andréa qui se laissait embarquer par l'enthousiaste reine de la soirée. Elle capitula et rejoignit le groupe devant le rétroprojecteur. Live Dance était un jeu vidéo à succès qui consistait à reproduire des chorégraphies en suivant les mouvements des androïdes à l'écran. Le jeu permet de faire des parties collectives, calculant la précision des gestes de chacun et les mettant en compétition dans une course aux points. Emy se plaça nonchalamment à droite d'Andréa et croisa les bras sur sa poitrine. Andréa s'esclaffa en la bousculant gentiment.

— Allez, ça va être marrant ! Et j'avoue que j'ai bien envie de voir comment tu danses.

L'androïde-guide apparut à l'écran. La musique se lança dans un rythme binaire puissant. De la Néo Dubhouse : tout ce que la jeune femme pouvait détester dans la musique électronique était réuni dans ce style. Des hurlements de basse à en faire trembler les murs, une voix robotique si transformée qu'on en déchiffrait à peine les paroles et une ritournelle incessante qui tournait en boucle pendant trois minutes : le rêve. Elle leva les yeux au ciel en gémissant. Elle adorait passer des soirées avec eux, ils lui donnaient l'impression d'avoir toujours dix-huit ans, mais parfois leur insouciance était pesante. Elle détestait danser de cette façon : face à un robot, singeant une chorégraphie infaisable pour des néophytes. Danser oui, mais comme elle le voulait et surtout pas seule. Elle le faisait uniquement pour Debby. La reine avait parlé et ce soir Emy n'était pas responsable. Elle suivit les pas de cette professeure de danse 4.0 en respectant le rythme brutal et saccadé de la chorégraphie. Elle jeta un œil à Andréa qui sautait dans tous les sens, tentant de suivre ce pantomime digital. Après plusieurs minutes de cardio, la musique se stoppa. Emy se mit alors à geindre de satisfaction en soufflant un « enfin » de détresse. Les vainqueurs furent annoncés par l'androïde et des cris de joie suivis d'applaudissements emplirent la salle. Kendra, fut sacrée « Queen du dancefloor » lors de cette partie.

— On va en faire une de couple, c'est encore plus marrant, s'exclama Inès en sélectionnant un nouveau titre. Trouvez votre partenaire, les gars !

Chacun se mit alors en quête du parfait cavalier. Emy jeta un œil en direction d'Andréa qui s'était sans surprise tourné vers elle avec un large sourire. Elle tendit le bras vers elle sans la regarder plus longuement. Andréa s'approcha et passa son bras autour de sa taille en positionnant celui d'Emy sur ses épaules.

— Tu n'allais quand même pas choisir un autre binôme ? plaisanta Andréa.

— Je n'ai pas eu le temps, tu m'as sauté dessus !

— Oh ! s'exclama-t-elle en lui pinçant gentiment les côtes. Je t'ai sauté dessus, vraiment ? Ton bras tendu vers moi n'indiquait pas du tout que tu me voulais comme cavalière, c'est certain.

— Exactement ! Je m'étirais, figure-toi, continua Emy en entrant dans son jeu.

Andréa éclata de rire. Un couple d'androïdes rejoignit le centre de l'écran. « Pour valider votre binôme, tenez la position. » Les deux jeunes femmes s'exécutèrent, calquant leur posture sur celle des deux représentations virtuelles des danseurs. Elles se firent face. Andréa posa sa main sur l'épaule gauche de sa cavalière puis glissa sa main droite dans la sienne. Elles s'observèrent légèrement embarrassées et tendues.

— Il faut que tu mettes ta main sur ma taille, murmura Andréa.

— Oui, euh, c'est vrai. Je sais, bafouilla sa cavalière.

Elle posa une main se voulant innocente sur le flanc d'Andréa. Emy contenait ses gestes afin qu'ils restent chastes et vertueux, mais elle ne pouvait endiguer la fièvre qui s'évaporait de ses yeux. Ce n'est rien qu'une danse, se répéta-t-elle. Je peux survivre à une danse. Les androïdes avaient validé chaque couple et lançaient à présent la partie. Au grand dam d'Emy, la chorégraphie qui s'annonçait allait être plus périlleuse que convenu. Non pas à cause de la difficulté des pas, mais bien par le genre de danse qui se profilait. Emy s'était attendue à une valse, un rock ou l'une des mille danses en ligne populaires que tout le monde maîtrisait. Un rythme de conga ou de timbales — elle ne sut le déterminer — vint prendre l'espace. Une mélodie vive de piano et de cuivres se mêla aux percussions annonçant une salsa inévitable. L'attention des deux jeunes femmes se focalisa sur les guides à l'écran. La chorégraphie démarra par les pas de base consistant à s'éloigner puis se rapprocher de son partenaire. Andréa était parfaite. Elle était légère, souple et totalement en rythme, tandis qu'Emy se battait avec ses pieds. Sa partenaire lui sourit en l'aidant à compter les pas.

Elle est faite de la même matière que les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant