Lundi sonna comme un coq dans la basse-cour. Emy et Andréa ronchonnèrent en grimaçant, leurs corps emmêlés dans les draps. Emy en était venue à oublier qu'elle avait un travail. Elle se leva en faisait taire son réveil avec l'impression de retourner à la dure réalité. Les deux jeunes femmes ne s'étaient pas quittées depuis deux jours. Elles avaient passé ce week-end sur un nuage, bien au-dessus de leurs responsabilités et de la réalité. Étrangement, la gestuelle matinale s'enclencha comme un rituel naturel. Andréa s'occupa du café tandis qu'Emy mit un vinyle pour accompagner leur routine. Les accords de guitare de Francis Cabrel résonnèrent dans le petit espace. Elle put déceler un sourire en coin sur le visage de sa compagne. Il était impossible qu'elle connaisse cette chanson, mais l'air romantique devait trahir son intention. Andréa se tourna vers elle, les pupilles enflammées par ce qui lui semblait être le désir. Un frisson traversa le corps d'Emy, débutant de la naissance de ses chevilles pour s'évanouir dans sa nuque dans un spasme délicieux. La lumière autour d'Andréa chancela jusqu'à s'éteindre complètement. Seul un halo formait les contours de sa silhouette. Elle se rendit compte que la lueur vacillante provenait d'une bougie qu'elle tenait dans sa main droite. Elle s'approcha de la jeune femme et déposa le bougeoir de laiton sur le porte chandelier fixé au mur à proximité de son amante. Celle-ci se tenait en appuis contre une porte de bois abîmée par les coups de sabots des chevaux d'attelage contrariés. Les pieds dans la paille et simplement vêtus d'une chemise de nuit blanche, si ce n'était pas la bougie qui enflammerait l'écurie ce serait sans nul doute ses yeux. Les deux jeunes femmes étaient si proches qu'il leur était presque impossible de respirer convenablement. Andréa entremêla ses doigts dans la chevelure d'Emy et l'attira vers elle sans aucun ménagement. L'impétuosité de leur échange fit monter la température de l'espace en quelques secondes. Poussée par un besoin passionnel primaire, Emy plaqua Andréa contre le mur. La flamme de la bougie trembla sous l'assaut de la vibration, faisant danser les ombres autour d'elles. L'impatience sembla lui brûler les mains. Une douleur intense émana de sa paume droite, l'obligeant à reculer en lui arrachant un cri. Emy s'éveilla, la main rougie par une blessure.
- Oh mon dieu, Emy ! s'alarma Andréa. Passe ta main sous l'eau froide, vite !
Guidée par son amante, Emy s'exécuta en serrant les dents. Dans son élan, elle avait posé la main sur la poêle encore brûlante qui avait servi à cuire les pancakes.
- C'est de ma faute, souffla-t-elle. J'étais... ailleurs.
- Ce n'est la faute de personne. C'est ce que l'on appelle un accident. Ça aurait très bien pu être moi.
Emy capitula, mais restait persuadée que cela n'aurait jamais dû se produire. Elle avait encore eu un épisode. Ce qui s'apparentait à de délicieux rêves se transformait petit à petit en hallucinations dangereuses. Il faut que je me reprenne, se dit-elle. Je ne suis pas maman. Après avoir soigné et pansé sa blessure, les deux jeunes femmes prirent la route de la boutique. La vie devait continuer. Emy aurait préféré rester cloîtrée chez elle le temps de se ressaisir, mais prendre un congé pour des symptômes de maladie mentale était le meilleur moyen de perdre son job. Comme pour son histoire avec Andréa, elle allait garder ça pour elle.
- Voilà mes meilleures assistantes ! s'exclama Sam.
Emy s'approcha en grimaçant de surprise, un sourcil arqué. Sam n'était pas du genre à s'étaler, à faire des compliments, ni même à s'exclamer de la sorte, et cela même si elle le pensait. En se rapprochant pour lui rendre un peu de sarcasmes, elle aperçut Mencia, souriant bêtement à une femme en tailleur. Cette femme était immense à côté de Mencia, la surplombant presque de deux têtes. Elle avait les cheveux poivre et sel figés vers l'arrière et portait un ensemble entièrement blanc, sans doute hors de prix, comme ses escarpins à la semelle bleu roi. Elle n'avait aucun doute, un haut cadre du siège faisait le déplacement ce matin dans leur boutique. C'était rare et imprévu, cela n'envisageait rien de bon. Emy ravala ses moqueries et sortit son plus beau sourire à Sam, l'œil frisant d'inquiétude.
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Elle est faite de la même matière que les rêves
RomanceÀ vingt-deux ans, Emy vit à Bâton-Rouge ville rivale de Saint-Georges. Sa vie bascule à la suite de la maladie dégénérative de sa mère, la forçant à abandonner ses rêves d'archéologie et à se consacrer à un emploi alimentaire pour subvenir à leurs b...