- La Mort ? Et moi donc ? Répliqua Thomas.
- Un humain destiné à mourir. Comme la mort met fin à la vie de l'homme, je suis ici pour mettre fin à tes jours.
Thomas peine à croire qu'elle est sérieuse. En même temps, compte tenu de ce qu'elle vient de lui infliger, Thomas craint qu'elle dit vraie. Du moment qu'elle peut effectivement le tuer d'un moment à l'autre. Mais dire qu'elle est la Mort, le dépasse complètement.
- Pourquoi veux-tu me tuer ?
- Les humains sont destinés à mourir je te rappelle. Ta question est erronée.
- Ce que vous faites aussi n'a pas de sens. Pourquoi me tuer maintenant si je finirai par mourir demain ?
- C'est ce que je déteste chez les humains. Leur arrogance qu'ils se sont permis d'affûter au fil des siècles. Ton arrogance te mènera à ta perte. Qu'est ce que tu crois maintenant ? Que t'as le droit de vivre ? Tu es comique dis donc. Tu ne sais même pas pourquoi tu vis et tu te permets de rappliquer avec cette question aussi débile que toi. Alors dis moi un peu Thomas, pourquoi devrais-je te laisser vivre ?
Son prénom résonne dans un écho qui suscite des voix dans sa tête.
Il ne peut être la mort en personne quand même ?
C'est un rêve, il aurait tant voulu le dire, et surtout que cela soit bien le cas, seulement, à cet instant la douleur semble revenir sur sa joue. Non, c'est loin d'être un rêve, change-t-il d'avis. Mais comment connaît-elle son prénom ? En plus de cette question qui le laisse sans voix. Pourquoi devrait-elle le laisser vivre ? Ce qui l'étonne n'est pas la question en elle même, mais le sens ironique qu'elle prend quand Thomas se la pose en boucle, sans réponse.
- Je m'en doutais. T'as aucune raison de vivre. En réalité, la mort n'est pas la pire chose dans la vie, mais le pire c'est ce qui meurt en nous quand on vit. Et en toi quelque chose est mort depuis longtemps. Seulement tu refuses de l'admettre. C'est pour cette raison que tu vas mourir. La vie n'a rien à cirer des gens comme toi. Et je n'ai aucune estime pour la vie humaine d'ailleurs. Les humains vivent comme si la mort était lointain, comme si elle ne prennait que les autres et qu'eux étaient épargnés. Et au moment où ça les arrive, ils en demandent encore plus, prétendant qu'il n'en ont pas fait assez. Pourtant ne vivaient-ils pas ? Ne pouvaient-ils pas emprofiter de chaque seconde qu'ils avaient ? Pardi, ils le pouvaient mais le problème c'est que vous aimez remettre tout à demain oubliant que le lendemain est plus incertain que n'importe quoi au monde. Lorsque vous le faites vous me dénigrer, vous croyez que je ne viendrai pas vous surprendre. Comme si vous connaissez l'heure à laquelle vous allez mourir. Pauvres arrogants !
- Dis moi quel est le sens de la vie alors ? Pourquoi l'on vit si c'est finalement pour mourir ? Demande Thomas la voix rauque, contrarié par ce que la Mort vient de lui dire, qui parait plutôt vraisemblable.
La Mort se lève et lui donne ensuite des coups. Elle est une femme, cependant Thomas n'en est pas si sûr quand il remarque que les coups portés sur lui ne peuvent qu'être donnés par un homme.
Elle veut vraiment me tuer ou quoi ?
- Je vois que tu n'as toujours pas compris, reprend la Mort retournant vers sa chaise après avoir été satisfait du nombre de coups donné à son interlocuteur. Tu crois que je vais te répondre ? Qu'est ce que tu crois merde ? Tu vaux que dalle en fait. Je croyais que t'allais finir par comprendre. Mais je me suis trompé. Tu n'es qu'une vraie pourriture. T'as juste le droit de mourir. À moins que tu m'ôtes un doute. On va jouer à un jeu. Je vais te poser une question que tu vas répondre. À chaque mauvaise réponse tu auras droit à dix coups. Par contre si tu trouves je te laisse vivre. Si tu choisis de ne pas répondre tu meurs. Dans tous les cas, si tu multiplies les mauvaises réponses tu mourras aussi car tu ne survivras pas à plus de 50 coups. Et crois moi je n'irai pas d'une main morte. Fais donc attention à ce que tu vas répondre.
L'inconnue que Thomas a finalement nommé la Mort - elle l'a bien méritée, elle le maltraite pendant des heures, le donne des calmants pour ensuite le maltraiter encore plus, qui peut faire un truc pareil si ce n'est pas la Mort, et le plus ironique, avec un visage innocent - a toujours le sourire aux lèvres, allumant sans cesse ses bâtons de cigarettes. Cette femme n'est pas humaine. Thomas s'en rend réellement compte. Des frissons recouvrent tout son corps quand il pense à la douleur qu'il a ressenti lorsqu'elle l'a frappé au tout début. Il ignore la question qu'elle va lui poser et redoute que c'est peut être un leurre. La Mort sait peut être qu'il ne trouvera jamais la réponse à sa question et qu'elle le tuera toujours. Son sort semble être déjà scellé.
Je vais vraiment mourir ?
Une larme coule, se mêle au sang qui coagule sur sa joue ridée. Le temps n'existe plus pour lui. Sa douleur semble ne plus avoir d'importance. Car il va bientôt mourir. Si la vie l'abandonne maintenant, ce n'est pas un problème pour lui. Sauf qu'au plus profond de lui, il ressent un mal, qu'il appelle regret. Il pense à sa mère qu'il a abandonné. Depuis qu'il est revenu de son voyage, il n'a fait qu'envoyer de l'argent mais n'a jamais pu arriver là où elle se trouve sous prétexte qu'elle a trouvé un autre conjoint qui prend sûrement soin d'elle. Un jour elle l'invité à rencontrer son époux. Il se rappelle d'avoir refusé, frustrant ainsi sa mère. C'est dès ce jour que leur communication s'est dégradé. Il aurait tant voulu aller la voir et lui parler, lui dire qu'il est désolé, qu'il l'aime tellement. Les faits et gestes que Thomas posaient à l'égard de sa mère a souvent montré qu'elle ne comptait pas assez pour lui ce qui est carrément faux. La seule chose dont il est maintenant sûr c'est qu'elle est la seule personne qu'il aime le plus dans ce monde. Sans trop comprendre, il ne résiste pas à ce qu'il ressent et éclate en sanglots. - La Mort le contemple l'air inexpressif. - Ensuite vient la pensée de son père. Quand il était à l'université, il avait programmé aller à la tombe de son père un beau jour, tôt au tard, mais il n'avait jamais imaginé qu'il mourrait avant de réaliser qu'il en avait la possibilité plus tôt. Pour lui parler, laver sa tombe et déposer des fleurs, il voulait s'y rendre. Il le veut encore. Ce n'est pas le temps qui lui a manqué, il s'en rend maintenant compte.
La Mort a finalement raison, il remettait tout à demain.
Un lendemain incertain. Et voilà qu'il va mourir. Il se rappelle de toutes ses relations amoureuses. De celle avec qui il a voulu passé le reste de ses jours. Pourquoi ne me suis-je pas battu pour elle, merde ? Pourquoi suis-je resté passible à ce moment là ? Même aux deux dernières relations. Qu'est ce qui ne va pas avec moi ? Fais chier ! Puis l'image de la jeune fille qu'il a vu hier le vient à l'esprit. Pourquoi n'ai-je pas essayé de l'aborder ? Après tout, elle était peut être la bonne ? Quand il pense qu'il meurt bientôt. Dans quelques minutes. Il n'a jamais pensé à sa mort, et pendant qu'il y pense, mourir de cette façon est loin d'être ce qu'il aurait voulu. Mais bon, choisit-on sa mort ? Il ne croit pas non.
- Allons, ne pleure pas. De toutes les façons ça ne changera rien, dit la Mort se rapprochant de Thomas.
La Mort a raison, le fait de pleurer ne change rien, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire. Tout d'un coup, quelque chose lui passe par la tête en essayant de résumer tout ce qui vient de l'arriver : les dires de la mort au début, ces gestes, ce qu'il le fait endurer... Se pourrait-il que ce soit ce qu'il pense ?
- Tu es perspicace dis donc, dit la Mort, le sourire aux lèvres.
- Pose ta question et qu'on en finisse, dit Thomas le cœur qui bat trois fois plus que d'habitude, les larmes aux yeux.
- Calme toi. Et c'est moi qui parle.
Dans le carton, il ne reste plus qu'un bâton de cigarette qu'il allume avec tout son calme pendant que Thomas lui continue d'agoniser comme un gibier blessé, prêt à mourir.
- Sais tu pourquoi les gens disent-ils que la vie est belle, ou un truc dans le genre que tu connais ou peut être pas ? Finit par poser la Mort, dans une traînée de fumée qu'il a projeté autour de lui.
Ce qu'il vient d'écouter le surprend. D'autant plus de ce qu'il aurait imaginé. Pourquoi dit-on que la vie est belle ? La blague ! Le plus drôle dans tout ça est que s'il ne répond pas dans les prochaines minutes qui suivent, il risque d'y passer. La situation est très délicate pour lui à tel point qu'il ne sait plus quoi faire sinon que s'adonner à la panique. Évidemment qu'il ignore pourquoi les gens le disent. Lui n'a jamais pu dire qu'elle est belle sinon qu'elle n'est ni laide ni belle. Plus les secondes avancent, plus il se dit qu'il n'aurait jamais le temps de trouver la bonne réponse. Enfin la réponse qu'elle veut entendre.
Si seulement elle peut m'accorder plus de temps.
En même temps, cela paraît effectivement comme un piège bien élaboré. Thomas ne peut penser à la place de la Mort. Ce qui veut simplement dire qu'il n'a réellement aucune chance de s'en sortir. Peu importe la réponse qu'il pourrait donner, il finirait par mourir. Soudain, il sent que la Mort se moque de lui, l'humilie et depuis le début essaie de le rendre néant.
- Parce qu'ils le pensent, osa dire Thomas sans réfléchir, le souffle presque coupé. Ils le disent... Parce qu'ils la vivent.
- Faux, prit catégoriquement la Mort.
La Mort se lève et le frappe successivement, dix fois. Thomas sait qu'il ne va plus tenir longtemps et fait finalement ce que son être intérieur voulait faire depuis le début : le supplier. Renonçant à son orgueil qu'il finit par reconnaître, il le supplie, il hurle de toutes ses forces - ses dernières sans doute - de le laisser la vie sauve. La Mort retourne s'assoir comme s'il n'entend rien. Thomas lui continue malgré ça.
- Je vous en prie... me tue pas, marmonne Thomas, tout essoufflé, la souffrance dans ses mots.
- Tu veux dire que tous ceux qui le disent le pensent ? Se demande la Mort l'air songeur, feintant toujours de n'avoir rien écouter de ce que Thomas vient d'avouer. En vrai tu as raison. Du moment qu'on ne peut pas dire ce que l'on ne pense pas. Et ce que l'on pense résulte de ce que l'on a vécu ou de ce que l'on vit, ta réponse est juste. Mais c'est pas la réponse que j'attendais. Car certains ne savent pas ce qu'ils vivent et confondent souvent qu'est-ce que vivre. Alors, je refuse ta réponse. Plus que quatre essais. Aller, fais un petit effort.
Thomas n'en peut plus. Ses sens s'engourdissent. Ses yeux lui font mal. La position inconfortable dans laquelle il se trouve devient insupportable. Oui, il hait celle qui est devant lui. D'une haine pure. Il sent cette rage qui bouillonne au plus profond de lui, ce qu'il aurait pu faire s'il arrive à se libérer. Toutefois, Thomas a conscience qu'il perd ses forces et que bientôt, le trépas l'embrassera.
- Tu ne cesseras de me surprendre, s'étonna la Mort déposant la bâton par terre. Pourquoi tiens tu maintenant à la vie ? Cela a-t-il vraiment d'importance ? C'est toi qui disait que ta vie n'a pas de sens, que tu n'a jamais su pourquoi tu vis. Figure toi que moi aussi je l'ignore. Je me le demande d'ailleurs. Tu dis ne pas être satisfait de ce que tu es devenu sous prétexte que tu as réalisé ton rêve, mais que tu as perdu quelque chose de plus important que ton rêve : le bonheur. Que tu ne sais plus où le trouver. Tu y as réfléchi, mais sans succès. Jusqu'au point de renoncer à la vie. Et maintenant que je suis là pour accomplir ton souhait tu me hais ? Je sens cette haine qui émane de toi. En vrai tu n'es qu'un imposteur, tu t'évertues à connaître qui je suis pendant que tu ne sais même pas qui tu es, ce que tu veux réellement, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu vis, ce que tu vois. Alors dis moi entre toi et moi qui est réellement perdu ? Qui a tort ?
En repensant ce qu'elle a pu dire, une fois encore, elle a raison. Il s'est égaré. Il ne sait plus qui il est. Ni même s'il rêve ou s'il est réel, même quand sa douleur lui redit qu'elle est indéniable. Mais qu'est-ce qui est plus abstrait que la mort ? se demande-t-il. Rien. Et pourtant elle est là devant moi, ses yeux dardés sur mézigue. Elle m'humilie, me met à l'épreuve et me maltraite. Suis-je finalement un imposteur ? Elle l'emporte petit à petit. Son âme semble dire quelque chose qu'il écoute mal. Soudain, il pense à son quotidien. À ses dents qu'il n'aurait plus la peine de brosser, à ses plats soigneusement préparés qu'il n'aurait plus le plaisir de déguster, aux instants généreux qu'il ne passerait plus à chier, très souvent le journal à la main, à sa belle douche où il ne trainerait plus une chanson à la bouche, à ses programmes télévisés qu'il pensait suivre plus tard donc qu'il ne suivrait plus, à la pelouse qu'il ne devrait plus tendre, à son boulot où il ne devrait plus se rendre, à sa famille qu'il ne verrait plus, à ses amis qu'il n'aurait plus à se faire mais qu'il avait toujours voulu avoir, dépassé par sa solitude, à ses voisins qu'il ne saluerait plus. Tout devient si claire qu'il réalise quelque chose qu'il ne pensait jamais réaliser. Tout ce qu'il cherchait. Ce bonheur à quoi il aspirait était juste là, à côté de lui. Comment ai je pu oublier ça ?
Le silence régne dans la salle pendant plusieurs minutes, durée pendant laquelle la Mort s'est contenté d'observer Thomas. Elle a quelque chose à dire.
- Être c'est être là, mais vivre c'est profiter d'être là. Tu n'as jamais su pourquoi tu vivais parce tu croyais être quelqu'un de grand. En effet tu l'es devenu, mais quel est le sens de la grandeur quand tout n'a plus aucune importance à nos yeux ? Même notre propre valeur est alors remis en question. Tandis que le dehors t'admirait, que les gens autour de toi ont rêvé d'être à ta place, toi tu as préféré croire qu'ils avaient tort sous l'alibi que tout n'est qu'absurde. Seulement laisse moi te dire une chose, il n'y a pas plus absurde que celui qui voit l'absurdité de la vie. Car dans la vie il y a une ironie. Voilà la grandeur de la vie et surtout sa beauté. Et c'est ce que tu viens de réaliser tout à l'heure. La grandeur est faite des choses les plus banales, et très souvent c'est en elles que réside le bonheur des hommes. Beaucoup sont persuadés le trouver dans des biens matériels, la richesse et que sais-je. Il seront déçus comme toi de constater le contraire. Le bonheur est un état d'esprit de celui qui vit. Alors peux tu répondre à ma question maintenant ?
Thomas connait la réponse. Il en est persuadé. Il veut vivre.
- Si les gens disent que la vie est belle c'est parce que tu existes.
La Mort sourit.
- Tu as finalement compris.
Et n'oublie pas que c'est face à la mort que l'on finit par vivre.
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La Charade Du Trépas
Short StoryAu delà des apparences, ma vie est bien plus pire, même si mes voisins m'envient. Je ne les envie pas pour autant. Je ne suis pas assez pauvre. Pas assez riche non plus. Enfin bon, j'ai jamais su pourquoi je vivais. Au début je croyais que j'étais n...