Les Sœurs du Crépuscule

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Défi n°3 : Écrire une scène romantique à partir d'une image ou de ce qu'elle vous inspire.

Nombre de mots : 832

Bonne lecture !

★★★

Les effluves de la sauge et de la rose emplissaient l'air et se mélangeaient aux embruns de la Mer de Cristal qui se fracassait par vagues en bas de la falaise. Le tintement des clochettes accrochées sur le perron pour entendre les secrets que le vent aimait dévoiler renforçait l'atmosphère intrigante et mystique de cette petite maison de bois, perdue au fin fond de la Forêt de Plailuir où avaient choisi de résider quelques membres du Coven des Sœurs du Crépuscule.

La pythie aux doigts fins vernis de noir tirait lentement les cartes de Tarot en écoutant les nombreuses questions de sa cliente, qui avait pris la peine de faire un voyage de deux heures depuis la ville voisine pour être gratifiée de sa clairvoyance. Elle envoya ses longs cheveux roux par-dessus son épaule en répondant par la positive, la cliente se mit à sourire de toutes ses dents inégales et posa une bourse pleine de pièces d'or sur la table ronde recouverte d'une nappe violette.

— Merci, Medeia ! lui dit la cliente pour la dixième fois alors qu'elle la raccompagnait jusqu'au portillon blanc. Je ne sais pas ce que je ferais sans vous !

La sorcière la regarda s'éloigner de son pas sautillant avant de retourner à l'intérieur. Elle déplorait la futilité des Nocanes – ceux qui n'étaient pas béni par la magie – qui n'avaient aucune idée de ce par quoi ses semblables devaient passer pour être capables de maîtriser les Arcanes, et tout ça pour savoir si, oui ou non, ses buissons d'hamamélis allaient lui faire gagner le concours du plus beau jardin cette année.

Medeia avait des choses plus graves à régler, beaucoup plus importantes. Elle tira sur un livre de sa bibliothèque pour actionner la porte cachée qui donnait sur son véritable atelier. Celui où elle préparait ses sorts et ses potions, enchantait ses cristaux et gardait son grimoire.

Elle hâta le pas dans les escaliers en entendant l'ébullition de sa potion. À en juger par l'odeur, cela ne faisait pas longtemps qu'elle avait atteint la bonne température, il ne restait que quelques ingrédients à ajouter et, bien sûr, l'incantation.

Elle remua l'onctueux mélange avec la cuillère en bois. De sa main libre, elle attrapa une pincée de barbe de cygne puis effrita de l'écorce de phellodendron amurense. Plus la douce odeur montait jusqu'à elle, plus elle se sentait trépigner d'impatience. Les philtres d'amour étaient compliqués à préparer, délicats, et étaient déjà difficiles à faire fonctionner sur les Nocanes, les êtres magiques y étaient encore moins sensibles.

Mais avait-elle vraiment le choix ?

Elle s'écarta brusquement pour ne pas gâcher tous ses efforts avec ses larmes. Annette lui manquait tant, elle ne pouvait pas se permettre de la perdre définitivement. Toutes ces années passées ensemble à l'Académie, toutes ces années de dévotion pour la magnificence d'Annette, ça ne pouvait pas disparaître comme ça. Même si elle était persuadée qu'elles étaient des âmes sœurs, le destin continuait de s'acharner contre elles et leur amour. C'était insensé et injuste. Pourquoi devait-elle encore subir cette infâmie ?

Le crépitement de la magie monta du fond du chaudron. Elle y était presque. Retirant la cuillère, elle attrapa son Livre des Arcanes pour réciter l'incantation destinée à sceller les pouvoirs du philtre.

— Medeia ? Tu es là ?

La sorcière sursauta au son de la voix de sa promise. Annette la rejoignit dans l'atelier et se figea en la voyant affairée devant son chaudron. Son regard turquoise se posa sur la page ouverte du Livre.

— Qu'est-ce que... C'est un philtre d'amour ?

Les larmes repartirent sur les joues rougies d'embarras de Medeia et elle laissa éclater son désespoir. S'être fait prendre si près du but... Elle sentait son angoisse revenir de plus belle.

— Que veux-tu que je fasse d'autre ? Il n'y a plus rien !

— Mais de quoi parles-tu ?

De rage, Medeia balança le Livre et se cacha dans ses paumes. Elle avait échoué, c'était fini et il n'y aurait pas de seconde chance. La grande brune s'avança lentement pour attraper les mains de sa compagne.

— Explique-moi, s'il te plaît.

— Tu es partie sans m'embrasser ce matin !

Annette dut retenir son rire qui ne lui attirerait rien de plus qu'un regard courroucé. Elle caressa le visage de Medeia pour lui faire lever les yeux. Elle s'était réveillée en retard et était partie si vite qu'elle en avait oublié l'essentiel.

— Je suis désolée ma petite harpie, je ne l'ai pas fait exprès.

— Tu me le promets ?

Annette hocha la tête et se pencha pour embrasser Medeia qui se pelotonna contre elle, rassurée.

— Quelle idée de faire un philtre, reprit la brune en regardant le chaudron bouillonnant. Ne me dis pas que tu as oublié que ça ne peut pas marcher sur moi...

Boudeuse, la petite rouquine secoua la tête. Bien sûr qu'elle n'avait pas oublié, mais l'angoisse du moment ne lui avait pas laissé envisager d'autres solutions. Et puis, elle n'en aurait sans doute pas eu l'idée si ça avait pu marcher, jamais elle n'enlèverait son libre arbitre à la femme qu'elle aimait.

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