I - Les Drones et la Murène

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"Anneau du Soufrélium";

La joie du travail!

Quelle délectable sensation que de voir des piles de papiers triés, de choses bien faites et d'en recevoir d'autres! Toutes les tâches effectuées ne seront plus à refaire; on glisse les résultats des calculs, les plans, les graphes dans l'une de ces grandes Secrétaires qui vous organiserait même une fiole de sable, puis on rentre chez soi en attendant le lendemain, et les nouveaux dossiers.

Les mains frétillantes sur le paquet de feuilles, une robe blanche légère, celle de la victoire, habillant un corps fluet de fière femme ingénieur, ou ingénieuse, et cette grande patriotique venait alors mettre son travail de la journée dans un long tube du Bureau, actionnait du bout de ses doigts fins le bouton et, telles des hirondelles affolées, les feuilles s'envolaient pour atteindre quelque sommet lointain.

Et quand elle allait rendre toutes ses œuvres d'art, toutes ses thèses philosophiques, métaphysiques, quantiques et découvertes du siècle, la jeune femme savait qu'elle contribuerait à envoyer le premier homme sur Jupiter, ou sur Neptune.

Ava Westcoat prenait alors l'Escalier Central, un immense ascenseur descendant à une allure remarquable les mille sept cent soixante douze mètres de l'immeuble, saluait ses collègues puis partait chez elle à pied. Ils avaient passé une annonce ce matin; le Soleil serait désactivé ce soir pour distribuer plus d'énergie aux centrales nucléaires. Le loup arrivait alors même qu'on achevait la brebis.

Un silence d'ébène s'étirait doucement sur la rue assombrie. Les feuilles d'automne démontraient de toute leur ferve dans un étrange ballet de vas-et-viens. La jeune femme les observait, s'étonnant que le Gouvernement ai recyclé celles de l'année dernière pour la saison.

Ava s'arrêta un moment sur le trottoir bordant les petites maisons du quartier. Il faudra vraiment parler à Owen de cette jetcar qu'elle avait vu sur l'un des Launcher de la ville, d'immenses écrans défilant des publicités sur tout et rien à la fois. Elle reprit sa marche tout en continuant de penser. Elle pourrait alors faire deux kilomètres en trois secondes, trois kilomètres en quatre secondes, quatre kilomètres en cinq secondes. 2,3,3,4,4,5 et elle se tenait déjà devant chez elle.

La maison n'était pas éclairée, Owen, son mari, devait déjà être couché à cette heure. Elle franchit le porche de l'habitation lorsqu'une mélodie chevrotante s'éleva des entrailles de la Terre.

Les trompettes de l'armée? Non, peut-être du violon. Le sol s'enflamma d'en toutes les couleurs et tous les motifs. Le quartier entier devint une espèce de kaléidoscope géant. Amber plissa les yeux vers le ciel; des drones. Cela devait être un quadrata s'arrêtant en ville. Mais elle voyait du rouge et du bleu sur le sol. Ces couleurs odieuses avaient été condamnées par le Gouvernement, les associant aux étendards ennemis. Des coups de canon retentirent bientôt. Il était minuit. Les drones se mirent à avancer dans la rue, suivis par d'effrayantes silhouettes aux apparences humaines.

Ava se précipita, horrifiée à l'intérieur, avant que les lueurs bizarres ne l'atteignent. Un quadrata à minuit! Cela devait être interdit.

Elle retourna au Bureau de bonne heure le lendemain, en se répétant cette comptine qu'elle avait apprise à l'école. "Travail tôt, tot, tot, crée une famille, mille, mille, aies des amis, mis, mis pour faire de tous les pays une grande patrie! Trie! Trie!" Travailler tôt! Une heure, deux heures, dix heures, puis rentrer et retrouver Owen endormi comme un ange. Et recommencer. Plusieurs fois. Pour envoyer un homme sur Jupiter, ou bien une bombe, ou bien un poisson. Après tout, c'est comme ça que les hommes avaient commencé; en étant des poissons.

Les Anneaux du SoufréliumWhere stories live. Discover now