Chapitre 5

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   Encore aujourd'hui, je ne comprends toujours pas pourquoi j'ai fait cela. Durant ma vie, on n'a pas cessé de me dire que je me débrouillais, que j'étais une personne intelligente qui savait me tirer des avantages de certaines situations. Cependant, ce jour-là, j'ai fait une des choses les plus irréfléchies qu'un humain puisse faire. J'avais bu, plus qu'à mon habitude. Lorsque je fais cela, c'est parce que la journée a été éprouvante, et ces derniers temps il est vrai que j'étais particulièrement à cran, alors je me mettais à boire de l'alcool incontrôlablement. Je ne surveillais plus mes alentours, je buvais lorsque j'en avais envie. Et ce vendredi là, immédiatement après ma sortie du travail, j'avais bu sous un pont de Paris comme un vagabond. Quelle honte pour mon rang social. Si mes parents savaient, je pense qu'ils auraient souhaité ma mort, bien que je pense qu'il la souhaitait déjà. Le liquide rentrait et me faisait me sentir comme le roi du monde. Je savais que je m'en voudrais de me rendre ivre de cette joie factice, mais j'en avais tellement rêvé durant cette journée que je n'avais pas pu résister. J'étais en train de devenir un esclave de cette drogue qu'est l'alcool. Comme un enfant trop sûr de lui, je m'étais persuadé que jamais je ne serais ivre mort, que je saurais contrôler mes verres. Ce ne sont que des balivernes, aucun être humain n'est assez puissant pour résister à l'appel de cette pourriture. J'avais juste trop d'égo.
   Après avoir bu, je ne sais combien de temps, j'ai décidé de jeter ma veste qui empestait. Je me retrouvais alors dans la rue, les cheveux décoiffés, les yeux très certainement rouges sang, dans l'objectif de me rendre au spectacle d'Haïcé. Je savais que j'avais aussi la possibilité d'y aller le lendemain, mais je comptais passer une journée avec Beata afin de ne pas trop la délaisser, et surtout afin de maintenir ma couverture. Alors voilà, je marchais, l'air me caressait le visage, le corps, l'âme. Je n'avais pas froid, je me sentais en symbiose avec le temps, même si nous étions en plein mois de février. Je me sentais juste bien. À quoi bon se torturer l'esprit lorsque nous avons à disposition des outils qui nous permettent de planer ? J'ai bien cru voler un instant. L'air était si bon, je voyais flou, ce qui rendait ce moment si irréel que j'aurais souhaité que cela ne s'arrête jamais. Était-ce cela la mort ? Parce que si oui, cela ne me dérange pas d'aller lui rendre visite et de ne plus jamais revenir.

   Je ne sais avec quelle force d'esprit j'étais arrivé à l'Opéra. Je ne savais pas quelle heure il était, je ne savais pas si des gens m'entouraient, je savais juste que j'étais au bon endroit. Alors je suis rentré, seul je crois. J'avais sorti mon billet que je gardais à la main, main qui avait perdu toute force. J'entendais un solo de violon, « Cela a-t-il commencé sans moi ? » m'étais-je demandé. Je titubais jusque dans la salle qui était remplie. Alors je restais debout, les yeux s'étaient rivés sur moi il me semble. Enfin, je n'en suis pas si sûr, je ne pense pas qu'on puisse entièrement se fier à moi vue l'état dans lequel je me trouvais. Alors je préfère me dire que personne ne m'avait remarqué, à part lui. Il s'agit du scénario qui me plaît le plus. Si ce n'est pas le cas, personne ne le saura, alors ce sera comme cela et c'est tout.
   J'étais plutôt loin à vrai dire, je ne voyais pas grand-chose, alors avec les substances qui voyageaient dans mon corps, autant dire que je ne voyais que des petits points et que la musique agressait mes oreilles. Je n'en tire pas un bon souvenir. Pourtant, je suis resté. Évidemment, je n'allais pas partir et prendre le risque de rentrer à l'appartement alors que j'étais dans un état second. Mon chemin de penser n'était pas le meilleur à cet instant précis. Me faire voir par lui était supposé être mieux que me faire voir par ma fiancée. Je n'ai pas été brillant. L'ai-je été au cours de cette période ? Autant ne pas répondre à cette question. Vivaldi jouait dans mes oreilles, cela résonnait, gonflait dans ma tête. Je fermais les yeux puis je les rouvrais, je me sentais transpirer et mes muscles se tendaient face à cette musique que je chéris. Le violon, je savais que c'était lui qui jouait. Ses petites parties seules me donnaient l'impression qu'il me les dédicaçait. Je me sentais à nouveau au sein d'une incroyable plénitude. Je m'étais adossé contre un des murs de la pièce, la tête reposée, les bras croisés, les yeux clos, je profitais de ce moment bien que je sentais les effets néfastes de cette substance me bousiller le cerveau. Je savais que je me sentais excessivement bien pour une raison qui n'était pas naturelle et pourtant je savais aussi que je risquais de recommencer tant j'appréciais le moment.

Du bout de tes doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant