PARTIE 1 - Chapitre 1

89 15 12
                                    

Pandore


Tous les élèves de l'université Villarian étaient réunis autour du corps par terre, les adultes tentaient de calmer l'atmosphère à coups de « ce n'est rien, calmez-vous », « nous contrôlons la situation », ou de « éloignez-vous, s'il vous plaît, nous nous occupons de tout ». Comme si ce n'était rien, comme s'il n'avait pas à s'inquiéter, comme si c'était quelque chose de tranquille qui arrivait toutes les deux semaines. Pandore mordillait le coin de ses ongles en jetant des regards effrayés aux autres étudiants. Elle qui pensait pouvoir concentrer cette nouvelle année sur sa réussite scolaire sans entrave, la voilà face à l'inattendu. Elle ne voyait pas qui était l'objet de toutes les attentions, étant trop loin, mais les murmures autour d'elle la laissait comprendre qu'il s'agissait d'Amélia, l'une des filles les plus populaires de l'université, et aimée de tous. Morte ? Vraiment ? Elle n'arrivait pas à le croire, c'était impossible. Et pourtant son corps reposait là, les yeux clos, son âme déjà partie loin dans les cieux... L'université était censée offrir à ses élèves les meilleures conditions de travail, pas les exposer à de tels dangers.

Pandore tourna la tête et vit dans un coin Orion, les bras croisés sur son torse, il était adossé à un mur et regardait la scène de loin. Plissant les yeux, elle n'arrivait pas à déterminer ce qu'elle pouvait lire sur son visage. Ancien petit ami d'Amélia, la voir morte dans les couloirs de son université devait lui briser le cœur, mais il ne laissait rien transparaître sur son visage, jamais. Autour d'elle, Pandore observait les visages choqués, en larmes, cachés par une main plaquée sur leur bouche, certains qui s'éloignaient ou d'autres qui couraient aux toilettes, peut-être pour vomir. Il devait être deux heures du matin, la soirée était bien partie pourtant, personne n'aurait pu penser qu'un tel drame arriverait. C'était la soirée d'intégration, elle permettait aux nouveaux élèves de rencontrer les anciens, discuter, et faire la fête avec eux. Aucun intrus n'aurait pu pénétrer entre les murs de l'université, tout était fermé et les entrées sur invitations.

Lentement, la foule devant la fameuse scène se dissipait, et Pandore put apercevoir Amélia. Son regard se brouilla rapidement de larmes, et elle porta une main à son visage pour cacher sa bouche bée. Amélia avait la peau d'une blancheur inquiétante, se noyant presque dans son propre sang, à côté d'elle se trouvait un carnet ouvert, intriguant.

- Eloignez-vous, nous avons-vous dit, s'exclama encore une fois l'un des surveillants en plongeant son regard dans celui de Pandore.

Un autre poussait les élèves vers le hall, et insistait en leur demandant de partir de nouveau. La jeune étudiante suit donc le troupeau, pour retourner dans le hall où toutes les lumières étaient allumées et la musique coupée. Les étudiants étaient agités, et parlaient fort, une amie d'Amélia s'énervait contre l'un des membres de la sécurité en lui hurlant dessus qu'ils étaient irresponsables et que c'était inadmissible, qu'elle allait porter plainte contre l'école. Arrivée dans le hall, Pandore se trouva face à Liv, sa meilleure amie, qui lui sauta presque dessus en s'écriant :

- T'as vu ça ? C'est absurde, comment quelqu'un aurait pu mourir pendant qu'on faisait tous la fête ? Je suis choquée, tu te rends compte ?

- Non, je ne me rends vraiment pas compte... murmura Pandore, en attrapant son amie par le bras pour l'éloigner des oreilles curieuses, et baissa la voix. Il ne peut s'agir que d'un élève de l'école, qui donc aurait pu rentrer ?

- Tu commences déjà à jouer l'enquêtrice, on a dit qu'on se concentrait sur nos études cette année... Et ne compte pas sur moi pour t'aider, je ne m'approche pas de tout ça.

Pandore leva les yeux au ciel avant de croiser les bras, et Liv reprit :

- De plus, les adultes s'en occuperont, je suis sûre que tout est sous contrôle.

- Tout est sous contrôle jusqu'à ce que l'un d'entre nous meurt, dit Pandore d'un ton amer.

Son regard par-dessus l'épaule de son amie, Pandore observa ses camarades, chacun avait ses propres réactions, et, dans le déni, elle n'arrivait même pas à déterminer comment elle se sentait réellement. Liv continua de parler en se dandinant dans sa robe trop serrée pour elle, mais Pandore ne l'écoutait plus, jusqu'à ce que celle-ci hausse le ton et attire son attention :

- ... Je ne me laisserai pas être une de ses victimes !

- Tu penses qu'on est tous en danger ? Peut-être qu'il en veut à certaines personnes en particulier...

- Je n'en sais rien, mais je pense que c'est plutôt du hasard... Tu n'as pas vu le carnet ? Le meurtrier a écrit avec du sang « ça ne s'arrête pas là. ».

- Ecoute, Liv, tu as raison, je ferais mieux de ne pas m'en mêler non plus. Il ne peut pas s'en sortir sans laisser de preuve, laissons les professionnels s'en occuper.

- Oui tu as raison, c'est le bon moment pour nous concentrer sur nos études, autant profiter de la panique générale, la taquina Liv avec un sourire complice.

- J'espère que tu rigo...

- Attention tout le monde, la coupa une voix forte dans un micro.

Le silence se fit dans la salle, et tous les yeux se tournèrent sur le directeur M. Briggs, qui était monté sur une estrade. Pandore croisa les bras sur sa robe rouge vermeil accordée à son rouge à lèvres. Sentant un regard sur elle, elle tourna la tête en surprenant Hëna, qui la dévisageait d'un regard intrigué. Les deux filles n'ont jamais su bien s'entendre, elles se battaient toujours pour savoir laquelle d'entre elles deux était la meilleure. Pandore fronça les sourcils, et Hëna lui fit un sourire mauvais avant de détourner son attention. Ignorant cet instant, la jeune étudiante écouta le directeur qui reprit :

- Vous êtes tous au courant du drame qui nous a tous frappé ce soir, je prends la parole maintenant pour vous assurer que tout est sous contrôle, et nous vous demandons de tous rejoindre vos appartements. Nous parlerons de tout cela demain matin à huit heures, en attendant vous méritez tous un peu de sommeil. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un événement traumatisant, et présentons nos sincères condoléances à chacun d'entre vous, mais nous espérons que cela n'affectera pas votre santé et vos résultats scolaires. Nous tenons à vous rappeler qu'un psychologue est disponible pour vous, et chacun des professeurs seront à votre écoute dans le respect et la bienveillance. Sur ce, bonne nuit à tous.

L'ironie. Pandore trouvait ça ridicule de s'imaginer qu'il est possible de dormir après cela, rien qu'en y pensant, elle avait envie de vomir. Elle n'avait pas envie de passer la nuit à se tourner et se retourner dans son lit, dans le noir, à ne voir que des images du corps décomposé de la jeune élève... Pandore ne pouvait retenir un air dégoûté, en songeant à l'horreur de la situation.

Liv attrapa la main de son amie en lui adressant un sourire compatissant, puis avança vers la sortie. Tous les élèves de cette école étaient en internat, c'est l'un des principes de l'université ; vivre sur place. Les week-ends et pendant les vacances, il était cependant possible de rentrer chez sa famille, mais Pandore le faisait rarement, elle passait la plupart de son temps cloitrée chez elle ou à la bibliothèque.

Pandore retrouva donc sa chambre partagée à son amie, et le silence emplit la salle. Liv rejoint la salle de bains pour se démaquiller et mettre son pyjama, et Pandore fixa le miroir près de son lit pour observer son visage. Est-ce que ça me change, de vivre quelque chose comme ça ? se demanda-t-elle en caressant sa peau et plongeant son regard dans ses propres yeux. Prise d'un vertige, elle cligna des yeux et se concentra sur sa robe, dont elle fit glisser la bretelle de son épaule pour la troquer contre sa tenue de nuit.

- Comment tu te sens ? demanda Liv en quittant la salle de bain, le visage brillant d'une crème pour la nuit.

- Vraiment bizarre. Je ne peux pas croire que c'est réellement arrivé, t'y crois toi ? s'enquêta Pandore en se tournant vers son amie désormais assise sur son lit.

- C'est assez bouleversant, en effet, surtout qu'on a aucune idée de qui a pu faire ça, ni pourquoi, c'est normal que tu te sentes comme ça.

- J'ai envie d'éteindre mes émotions, soupira-t-elle.

Sur ces paroles, Pandore rejoint la salle de bain pour se démaquiller à son tour, attacher ses longs cheveux bruns en une longue natte et se préparer pour la dure nuit à venir. Dans son lit, elle essayait de se concentrer sur sa respiration, vider ses pensées, mais elle ne parvenait pas à se sortir de l'esprit l'affreuse image d'Amélia sur le sol.

Sous le murmure des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant