Dix ans après la Première Guerre mondiale, une femme, ayant subi toutes les rigueurs des conquérants allemands et présumée morte, est retrouvée à Berlin ; du moins, un ami de son mari croit la reconnaître en la personne d'une danseuse aux mœurs légères, devenue compagne d'un écrivain. On la rappelle à sa vie antérieure italienne. Seulement, celle que l'auteur nomme toujours l'Inconnue, dispose aussi bien de raisons de nier être l'Italienne que de l'affirmer, et l'intrigue se complique d'une histoire de legs où le mari est intéressé au retour de son épouse.
– Un mot pour parler de cette édition : c'est le cas où j'aurais aimé savoir à quelle date mon exemplaire a été imprimé. Les solitaires intempestifs semble avoir profité d'une mise en scène en 2021 à l'Odéon pour publier ce texte, mais la première page indique que l'œuvre est – ou sera – à l'agrégation en 2023. Les programmes sont-ils déjà établis deux ans à l'avance ? je l'ignore, mon ouvrage est peut-être une réédition à laquelle on a postérieurement apposé la mention du concours. Or, je trouve que cela importe : c'est qu'en France, dans bien des cas, on n'édite pas un livre avant d'être sûr de le vendre, les professionnels n'ayant même pas la petite bravoure d'un risque : c'est possiblement ce qui s'est passé ici, puisque Comme tu veux n'était apparemment pas publié en français avant 2021, alors que la pièce date de 1930. On n'aurait décidément aucune honte à ne publier que pour l'argent, l'agrégation assurant au moins un bon millier de ventes. Je ne veux, ne peux pas m'avancer davantage, mais j'ai quand même du mal à croire que ce soit par hasard si la pièce Juste la fin du monde de Lagarce figure chez le même éditeur méconnu et... au programme du CAPES de 2024. –
Le premier acte du drame est assez ennuyeux, prévisible, stéréotypé et verbeux : il ne fait qu'allonger la situation d'une femme qu'on vient chercher sous une identité et que le lecteur, je crois, admet correspondre à cette identité, accordant sa confiance en celui qui la reconnaît et n'a nulle raison de se tromper avec tant de conviction. Or, c'est une coïncidence invraisemblable que ce Boffi, promenant à Berlin, y découvre l'épouse de Bruno, qu'on pensait disparue, réputée avoir subi un traumatisme (ce qui constitue encore un présupposé exceptionnel), et qui, par une conjonction supplémentaire, se trouve aspirer justement à se détacher d'un amant écrivain dont elle s'estime emprisonnée ; il faut alors passer sur ces conventions multiples en espérant qu'il n'y en aura pas d'autres, comme les fictions l'imposent souvent au lecteur. Mais on ne découvre là rien davantage, c'est une exposition longue et convenue, qui ne démêle rien et qui s'empêtre sans progrès, tout un tiers de l'œuvre ne révélant pas une idée originale ou une réplique inédite et ne servant que de présentation souvent un peu excessive et hystérique.
La pièce prend plus d'ampleur ensuite : l'indécision s'accroît, faisant un théâtre policier où l'énigme porte sur l'identité véritable de l'Inconnue, l'astuce consistant pour l'auteur à ne pas indiquer si la femme est celle qu'on veut. On cherche des indices, on infère des troubles, on inspecte des paroles, on examine des attitudes, avec soupçon et jeu, tâchant à déceler chez l'Inconnue une contradiction ou une confirmation, et quand on croit en avoir trouvé, comme elle garde l'équivoque sur ce qu'elle veut faire disparaître – le souvenir de l'abus des Allemands ou la vie culpabilisante de danseuse ? – et sur ce qu'elle craint de retrouver – le lieu empli d'une mémoire affreuse ou la poursuite d'une relation avec son écrivain importun ? –, on est détrompé et replongé dans le doute, pour ce qu'elle peut avoir autant de profit à dissimuler la pauvresse violée que la mondaine anodine.
(Ambiguïté des répliques comme : « Rien. Jamais un vrai tourment, un vrai désespoir, n'ont sans doute fit naître en vous le besoin de vous venger de la vie, de la vie telle qu'elle est – de ce qu'en ont fait pour vous les autres, ou les circonstances – en en créant une autre, meilleure, plus belle, celle que vous auriez dû avoir, celle que vous auriez voulu avoir ! – Et parce que vous êtes comme ça, parce que vous m'avez connue (trois mois...) telle que j'ai pu être avec vous, ma vie serait une imposture comme la vôtre ? » (page 147))
VOUS LISEZ
Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.