La Souveraine.
Académie de danse. 21 Octobre, 18h00.
La musique remplit le studio de danse. Néanmoins, des rires et des cris enfantins parviennent à la rendre muette pendant que des discussions occultent l'euphorie des plus jeunes. Dans une ambiance rendue intimiste par l'obscurité extérieure, l'instant semble infini. Le bonheur émanant n'est plus superficiel. Le temps s'arrête. Le moment paraît si habituel mais si exceptionnel qu'il en devient dur d'en profiter.
Tel un rêve, rien ne peut venir perturber cet instant. Mais la peur que cela se transforme en cauchemar est ancrée, que cela ne soit qu'un château de cartes sur le point de s'écrouler. Puis tel un rêve, cela ne dure que quelques minutes, et le château de cartes finit par s'écrouler.
La regarder est un effort impossible. C'est un effort qui fait remonter des souvenirs que je m'efforçais d'oublier. Je m'efforçais de les ignorer mais ses yeux en amande et son sourire délicat, presque naïf, reviennent se graver derrière ma rétine. Dans la froideur de la salle, elle est l'esprit qui torture et qui détruit l'âme. Elle hante mes pensées, reprend sa place au fur et à mesure en ne m'offrant aucun espoir de calme.
La musique finit par s'arrêter, vite remplacée par des souffles de libération. Cependant ce n'est plus qu'un fond sonore flou et obscur qui accompagne les centaines de messages de la part de Sinann. Seul le lien que je préserve avec elle me permet de ne pas tomber dans l'abîme. Avant que ce lien ne soit remplacé par la présence de Nata.
Ses cheveux fins sont collés sur son front. Son souffle est court pourtant son sourire est immense. Ses yeux dévoilent un émerveillement inédit capable de me tirer une unique larme, rapidement enlevé d'un geste furtif de la main. Sa joie fait ma fierté. Et en la prenant dans mes bras, plus rien n'a d'importance à part son bonheur. Je ne peux rien faire d'autres que sourire face à son euphorie impossible à dissimuler et à sa timidité vite abandonnée.
Protégée contre moi, elle laisse finalement échapper une respiration apaisée, les yeux fermés. Son souffle me taquine la nuque, soulève quelques mèches, tandis que je caresse inconsciemment son dos. Plongée dans une réjouissance trop longtemps oubliée, la légèreté de mon âme est immense. Tout devient secondaire. Dans la clameur d'une fin d'entraînement, Nata est mon silence.
Elle est mon silence et je profite de cet instant d'éternité pour profiter de son sourire que j'aurais aimé faire à son âge. Dans une salle dont le bruit devient de plus en plus faible, ses bras qui tentent de m'encercler me remplissent d'allégresse. Ce n'est plus que nous deux contre les autres. Ce n'est plus qu'elle et moi, ses joues rougies par l'effort et ses bégaiements d'enfants qui remplissent mon cœur.
Cependant, son regard, aiguisé telle une lame, me transperce. Alors que le sourire de Nata me réchauffe l'âme, son regard de glace me paralyse. Dans un calme nouveau, les paroles de ma fille ne deviennent que des murmures mourant sur les murs d'une salle vide de toute vie. Et appuyée sur le mur blanc, bloquant dorénavant les escaliers des gradins, sa présence ne cesse de me ramener à la réalité.
Une réalité qui s'impose à moi, et de la plus sournoise des manières. Elle ne devait plus qu'être une légende, un souvenir pour le monde et un cauchemar de plus pour le mien. Entouré et caché par deux autres femmes, son visage de porcelaine se dessine parfaitement.
Je profite que Nata tente vainement de regrouper nos affaires pour envoyer un dernier message. Une dernière photo dont je ne peux m'empêcher de détailler les moindres détails. Parce que ce sont généralement les petits détails qui font les plus grandes différences.
– Maman?
Les sourcils froncés et les bras croisés sur le torse, il m'est impossible de retenir un rire. Rangeant finalement mon téléphone avant de prendre le sac, je dégage ses derniers cheveux sur son front avant de l'embrasser, lui déclenchant un rire.
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Killing Spree
RomanceAu milieu d'une ville gangrenée par les mafias, une figure domine: la Souveraine. Maîtresse dans l'art du subterfuge et de la manipulation, elle manie ses compétences avec une aisance terrifiante, son nom résonnant dans les rues de Moscou telle une...