Chapitre 5 : Raison et sentiments

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I've looked at love from both sides now

From give and take, and still somehow

It's love's illusions I recall

I really don't know love at all

Tears and fears and feeling proud

To say I love you right out loud

Dreams and schemes and circus crowds

I've looked at life that way

Both Sides now, Joni Mitchell


Le libraire angélique se retrouva nez à museau avec un odieux représentant de la race canine : si les Saint-Bernard et les labradors sont œuvres de Dieu, les chihuahuas et les teckels sont, quant à eux, une création infernale. Le petit chien retroussa ses babines, dévoilant ses crocs fort peu aimables. Sa propriétaire le réprimanda avec l'autorité d'une mère dépassée par sa progéniture, avant de s'excuser auprès de ce qu'elle croyait être qu'un simple libraire.

Aziraphale la sonda, observa les rides creusant ses paupières fatiguées, nota les nombreux poils de chiens accrochés à son manteau de bonne facture mais élimé aux coudes. Humaine sans soucis financiers, décréta l'ange, cependant malheureuse. Son regard s' illumina lorsqu'elle le posa sur les rayonnages débordant de livres. Danger imminent. Les humains férus de littérature étaient les pires car prêts à tout pour le déposséder de sa précieuse collection. Il se devait d'agir vite afin d'éviter la déplaisante litanie de supplications, de menaces et vaines promesses de versements à plusieurs zéros sur son compte en banque.

– Ces livres ne sont pas à vendre.

– Mais, fit la femme un brin décontenancée, c'est une librairie !

– Précisément, c'est ma librairie, répondit-il tout en poussant la cliente qui n'en serait pas une, vers la sortie.

Il s'apprêtait à user d'un petit tour de passe-passe pour la faire fuir – répandre une odeur d'œufs moisis lui semblait une idée tout à fait judicieuse –, lorsque le roquet, outragé par son manque de courtoisie, lui planta ses crocs dans la main. L'ange, surpris par cette attaque, relâcha la femme pour examiner sa peau où perlaient quelques gouttes de sang.

– Je... Je suis... désolée, bredouilla la femme en baissant les yeux. Je...

Ses excuses se perdirent dans un long sanglot. Elle serra son chien contre sa poitrine, comme s'il était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Aziraphale enveloppa sa main, bien que la blessure se soit déjà résorbée, dans un mouchoir en dentelle, avant de s'approcher d'elle. Les larmes étaient une arme dangereuse, car il lui était bien difficile de rester impassible face aux chagrins humains. Lui-même pouvait, parfois, se laisser submerger par la tristesse. Il était le seul ange, à ma connaissance, à éprouver de véritables sentiments et ce, depuis une éternité. Il avait oublié la cause de ses toutes premières larmes, mais il n'avait jamais oublié la sensation que ce premier chagrin lui avait causée.

Je t'ai longtemps pensé insignifiant, Aziraphale, toi dont le pompeux titre d'« ange de la Poterne de l'Est» était un sujet de dédain et de moqueries pour les anges d'un rang supérieur. Après tout, il n'y avait qu'une seule porte à garder dans le jardin d'Eden et la mission qui t'avait été confiée aurait dû être d'une simplicité enfantine... Avant le Commencement, tu n'étais pour Moi qu'un Chérubin que rien ne distinguait des autres, excepté ton étrange fascination pour un être céleste un peu trop curieux. J'ai eu tort de te croire dénué de tout intérêt, Aziraphale, car depuis ce jour où tu as « prêté » ton épée à Adam chassé de l'Eden, tu n'as cessé de Me surprendre.

Love IneffablyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant