Prologue - 14 juin 2023

349 44 6
                                    


Nicole.

La pluie éparse coulait sur mon visage.

C'était comme si les gouttes d'eau avaient le pouvoir de tout effacer sur leur passage... la saleté des rues parisiennes, la poussière des plantes laissées sur les bords des fenêtres, la tristesse...

Ces petites pointes de cristal, si délicates et subtiles, ressemblaient à s'y méprendre à des larmes. Elles dansaient sur mes joues, se confondaient, s'apprivoisaient, alimentant ce vide que je ressentais.

Je n'aurais jamais cru en arriver au point de ne plus savoir qui j'étais, d'être une étrangère dans mon propre corps.

C'est une sensation si particulière que d'être hors de soi. On ne peut plus vraiment éprouver des émotions, on est , mais sans être dans le même ici que les personnes qui nous entourent. On est dans un ailleurs, dans lequel on existe sous une forme spectrale, et où le temps est comme figé. Un endroit où la folie menace de prendre le dessus sur la raison, et où nos peurs contrôlent chacun de nos gestes.

J'avais beau essayer d'avoir du recul sur cette situation, ça faisait plus de six mois que je ne maîtrisais plus rien, et que la réalité avait fini par me rattraper.

Ceci aurait sans doute dû me détruire. Il est vrai qu'au départ, je ressentais de la douleur. Mais peu à peu, ce mal s'était transformé en un immense vide, et c'était comme si plus rien de tout ça ne m'atteignait vraiment, comme si je ne parvenais plus à percevoir ce qui m'entourait, et qu'il n'y avait que moi et les ruminements incessants que produisait mon cerveau.

Je continuais de longer l'avenue faiblement éclairée, pendant que mes idées noires, elles, tournaient en boucle dans ma tête.

Je me souviens avoir passé des heures à chercher des témoignages sur internet. Quelque chose me permettant de comprendre l'état dans lequel j'étais plongée, malgré moi.

Mais qui n'en ferait pas autant ? Chaque être humain poursuit les réponses aux fameuses questions existentielles commençant toutes par un : « Pourquoi ?»

Pour certains, c'est la quête de toute une vie. Comme j'enviais ces gens qui pouvaient s'offrir le temps de se trouver ! Moi, je n'avais pas cette chance. Du temps, je n'en possédais pas. Il me filait toujours entre les doigts tel du sable trop fin se déversant dans un sablier trop large. Une seconde d'écoulée était un instant de trop, et me dire que je risquais de rester coincée à jamais dans cet état me terrifiait.

Je me suis arrêtée un moment pour admirer la Seine et les lumières de Paris.

— Le Pont des Arts...

Ma voix n'était qu'un soupir dans ce silence assourdissant qui m'entourait.

C'est drôle à quel point un endroit a le pouvoir de faire ressurgir des souvenirs, vous rappeler une émotion, une époque, voire une personne.

Si la peur de mourir n'était pas si ancrée en moi, je crois bien que j'aurais sauté de ce pont ce soir-là. N'était-ce donc pas l'unique solution pour faire taire toutes ces pensées qui me détruisaient ?

Mais tu en es incapable, Nicole. Tu as bien trop peur que la seule chose qui t'attende dans l'au-delà, ce soit le néant. Un néant aussi vaste qu'obscur.

J'étais ainsi prisonnière de cette situation où même mettre fin à ma propre vie n'était pas une échappatoire, mais où l'existence n'avait plus aucun sens tant la souffrance de l'âme était écrasante.

J'étais dans les limbes.

Dans l'attente.

Celui d'un espoir.

Car l'espoir, c'est ce qui meurt en dernier*, m'avait-on dit.

__________________________________

*Proverbe irlandais

Hope Dies Last [ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant