Chapitre 8

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Stiles n'était pas du genre à se laisser abattre. Il avait toujours eu en lui cette hargne qui le poussait à la réussite : à tout essayer, ne jamais abandonner. Enfin, il avait dû faire une exception quant à ce sujet-là, mais c'était parce qu'il n'avait pas le choix.

Laisser tomber ses études n'était pas pour lui un échec total. Disons qu'à son avis, il s'agissait plutôt d'une vie mise entre parenthèses. Et s'il ne la reprenait pas là où il l'avait laissée, qu'importe : d'ici là, il aurait sans doute réussi à payer l'intégralité des soins de son père... Et remis celui-ci dans le droit chemin. Il était persuadé qu'un jour, Noah cesserait de se battre pour la mort et se mettrait à embrasser la vie. Alors voilà, rien ne pourrait ni le détourner de son objectif, ni l'en décourager d'une quelconque manière : quoiqu'il advienne, Stiles réussirait.

Et ce n'était pas un enfoiré de bas étage qui allait le faire changer d'avis, ni même lui faire envisager une option qu'il avait sciemment écartée dès le départ. Hors de question qu'il capitalise son corps pour amasser davantage d'argent : l'hyperactif savait qu'une fois engagé dans cette direction, il risquait de s'y perdre de façon définitive – et il n'en avait pas la moindre intention.

Puis la vie lui montrait chaque jour que sa manière de faire était la bonne. Il s'épuisait, certes : néanmoins, ce qu'il récoltait était pour l'instant suffisant pour prendre en charge les frais pourtant grandissants qu'engendrait la situation de Noah, perpétuellement délicate. Lorsque les choses évolueraient, Stiles ferait quelque chose pour y remédier. Mais jamais il ne s'abaisserait à cela dans la mesure où il ne le voulait pas. Qu'importe ce que cet idiot de Jace pensait : on avait le choix... Et on l'aurait toujours dans la mesure où on gardait les choses sous contrôle. C'était ce qu'il s'évertuait à faire depuis qu'il avait été obligé d'arrêter ses études – et il y arrivait.

Ainsi, il eut un mode de pensée un peu particulier, à mi-chemin entre le relativisme et le déni.

Il n'avait peut-être plus de toit sur la tête mais la bonne nouvelle, c'est que ça lui ferait des dépenses en moins et, par extension, de l'argent en plus pour les soins de son père. Enfin, faudrait-il pour cela qu'il résilie le bail sans attendre – il s'en occuperait le lendemain. Alors non, Stiles ne pensa pas à tous les inconvénients que cette situation était sur le point de lui créer, pour la simple et bonne raison qu'il avait pour l'instant d'autres chats à fouetter, un boulot à reprendre. Dans sa tête, tout était compartimenté de sorte à ne pas craquer : les émotions passaient après ce qu'il considérait comme utile, voire indispensable à sa vie.

Objectivement parlant, il n'était pas réellement malheureux. Disons qu'il avançait sans se poser de question, porté par l'idée qu'à termes, ses efforts finiraient par payer.

Néanmoins, si Stiles n'était pas du genre à se laisser abattre, il ne pouvait nier que les mots de Jace auraient sans doute un impact sur lui. A vrai dire, c'était déjà le cas, mais il ne s'en rendait pas vraiment compte. Le conscient agissait, l'inconscient cogitait. C'est donc l'air sombre qu'il retourna à l'intérieur du bar, prêt à reprendre même si sa pause n'était, techniquement, pas terminée. Tout était bon pour ne pas penser et repousser le plus loin possible ce qui pourrait l'alourdir. A cet instant, il n'autorisa qu'une petite voix à se faire entendre dans sa tête : celle qui lui disait qu'il était efficace, qu'il faisait du bon boulot. Les autres, il les muselait volontairement. L'angoisse n'avait pas sa place dans sa tête à l'heure actuelle. Lorsque son service serait fini, en fin de soirée, sans doute pourrait-il s'autoriser un petit moment d'égarement, un certain relâchement. Mais uniquement dans sa Jeep, qu'il savait d'ores et déjà où garer pour être tranquille. Autant prendre les choses du bon côté tant qu'il en était encore capable. Dans un sens, il se facilitait la tâche... Tout en se la complexifiant d'un autre côté – mais ça, il n'était pas près d'en prendre conscience. Peut-être d'ailleurs qu'il ne le voulait pas sciemment.

Ainsi lorsqu'il reprit son service comme si de rien n'était, Maïa le regarda sans comprendre et stoppa un instant ce qu'elle était en train de faire. Elle déploya son odorat, perplexe de le voir revenir aussi vite. A côté de cela, il arborait une expression légère de façade très simple à décoder.

Mais il puait. En d'autres termes, il y avait quelque chose en lui qui n'allait pas. Son regard... N'était pas aussi sombre lorsqu'il était parti prendre sa pause. Elle voulut tout arrêter et aller s'enquérir de ce qui n'allait pas, sans rien faire pour autant. Disons qu'il y avait un paquet de clients ce soir et qu'elle ne pouvait pas stopper leur service à tous les deux de cette façon. Son seul moyen de savoir ce qu'il avait était d'essayer de grapiller quelques informations les fois où il reviendrait lui indiquer les commandes de certains et les récupérer.

C'est d'ailleurs ce qu'elle fit, mais Stiles évita sciemment de lui répondre et usa de ce sourire on ne peut plus factice qu'elle lui connaissait bien. L'humain n'avait pas la moindre intention de discuter. Savait-il seulement à quel point elle sentait que ça n'allait pas ? Savait-il qu'une tannée d'autres loups avaient dû remarquer son odeur ? Mais comme elle n'était que secondaire et que Stiles arrivait malgré tout à en réduire la puissance, l'on n'y faisait pas plus attention que cela. Ce n'était pas leurs affaires, à ces clients de passage. Même les habitués, enivrés par l'ambiance du bar et quelques autres joyeusetés qui s'échangeaient, ne s'inquiétaient pas.

Mais elle, si.

Maïa en oublia ce qui la préoccupait au départ : la venue potentielle de Derek Hale. A défaut de pouvoir discuter avec son ami, elle fit de son mieux pour le dérider chaque fois qu'il devait passer au bar. Elle converserait avec lui, c'était sûr... Plus tard. Lorsque Stiles n'aurait aucune possibilité de fuite. Une chose était toutefois certaine : la louve n'appréciait pas le moins du monde cette ombre dans son regard, qu'elle trouvait d'ores et déjà dangereuse.

Une graine fraîchement semée, qui ne devait pas pousser.

Si Maïa aimait son boulot, ce soir, elle eut envie qu'il se termine tôt. Jamais il ne lui avait autant tardé que son service arrive à son terme. Encore quelques petites heures et ce serait bon. Durant tout ce temps, elle garda un œil sur son ami humain... Et sur ses collègues. Ce soir, il ne fallait pas qu'un seul d'entre eux tente de lui faire la moindre crasse, aussi petite soit-elle : autrement, elle risquait de sortir les griffes un peu plus vite qu'à l'accoutumée.

Le regard ébène de Maïa se posa régulièrement sur l'horloge murale au fond de la salle. Le temps lui s'emblait s'écouler à une vitesse prodigieusement lente mais au moins, il ne s'arrêtait pas. Plus qu'une demi-heure avant de faire partir les derniers clients et de procéder à la fermeture du bar. Une partie de ses collègues qui terminaient leur service un peu plus tôt, s'étaient déjà fait la malle – le patron également. Pour sauver les apparences et continuer de faire bonne figure, Maïa continua d'arborer son sourire en coin habituel sans cesser de surveiller de loin cet humain qui continuait de l'inquiéter malgré tout. C'était impressionnant à quel point il s'était si facilement fait une place dans son cœur que beaucoup jugeaient de pierre. Elle se concentrait d'ailleurs tellement sur lui qu'elle ne fit pas attention à la porte qui s'ouvrit sur un homme... Celui dont elle redoutait quelque peu la venue en début de soirée. Disons qu'elle avait oublié ce détail... Parce qu'elle avait d'autres chats à fouetter, un peu plus importants que cette visite-là.

Stiles était sa priorité, mais Maïa n'imaginait pas qu'il puisse, d'une autre manière, être aussi celle de Derek Hale.

In your armsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant