Chapitre 14 : Deux cons bourrés (2)

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Alexander

Le morveux par terre commence à sangloter dans sa manche en marmonnant des trucs incompréhensibles. Mon envie de partir en roulant à cent à l'heure me submerge mais ma conscience me rattrape à l'idée de laisser cette mioche là au milieu de la route.

_ T'as de quoi picoler ? Sa voix craque à la fin de sa question. 

_ Tu devrais ne plus boire, rentre chez toi.

_ J'ai envie de mourir.

Non, pas ça. J'ai affaire à un suicidaire et il a fallu que ça arrive ce soir, merde !

_ Meurs si tu veux mais pas ce soir et surtout pas en ma présence.

Putain, j'abandonne. Je ne suis pas responsable de ce gamin et si ça se trouve, c'est un tueur. Si j'étais parti depuis toute à l'heure, je serai déjà chez les grands parents de Cailee et je serai sûrement déjà en train de soit galocher Blanche neige, soit à genou pour implorer son pardon d'être un tel connard.

Mais je serai un véritable connard si je laissais ce morveux à moitié écroulé par terre. Je récupère la bouteille de vodka dans ma jeep et m'assois à côté de lui. Je bois une gorgée avant de la lui filer. Il la prend et boit comme si c'était de l'eau.

_ Eh vas-y doucement, morveux. Tu cherches à être inconscient ou quoi ?

_ Il faut que je sois bourré pour ce que je m'apprête à faire. J'ai besoin de courage.

_ Et qu'est-ce que tu t'apprêtes à faire ?

Il reboit et grimace.

_ Je vais aller récupérer ma copine.

je lui reprends la bouteille pour refouler les sentiments sombres de mon esprit. Soudain, je me rappelle pourquoi j'ai commencé à boire cet après-midi.

_ Vous vous êtes disputés ?

_ En quelque sorte.

_ Et tu fais tout ce chemin pour aller la récupérer ?

_ Ouais...elle ne sait pas que je viens. Je compte lui en faire la surprise.

_ En étant bourré et en criant dans son jardin ? Tu risques de t'attirer des problèmes.

_ Elle est pas chez elle, et donc il n'y aura ni ses parents, ni ses frères.

Tiens j'ai une impression de déjà vu.

_ Et comment tu as fait pour savoir qu'elle est ici et non chez elle aux côtés de sa famille ?

_ J'ai pisté son téléphone, il dit après un long silence.

Putain, c'est un stalker. Je plains cette pauvre fille.

_ T'es un fou, toi.

_ Je sais. C'est pour ça que j'ai commencé à boire. Pour pas changer d'avis et me faire rattraper par ma conscience.

_ Si tu veux un conseil, lâche l'affaire.

Il fait un mouvement de recul avec sa tête, assez comique.

_ Je ne lâcherai pas l'affaire. Jusqu'à ce que je crève.

_ Ça passera. Les filles vont et viennent.

_ Pas elle. Même quand elle n'est plus là, elle habite chaque recoin de ma pensée.

Je crois que sur ce point, lui et moi nous rejoignons. Je connais trop que bien d'avoir une personne hanter chaque recoin de sa tête. Blanche Neige y a élu domicile, à vie je crois. Elle n'est pas le genre de fille qu'on peut ranger dans un coin. Elle est présente dans tout ce que je fais, dans tout ce que je vois et dans tout ce que je ressens. Je l'ai dans la peau.

Soudain, je repris conscience et mon objectif me revient en tête.

_ Bon, au moins j'aurai essayé, je dis en me levant et en époussetant mon pantalon. 

Le morveux me regarde incrédule. 

_ Tu vas où ? 

J'hésite à lui donner ma réponse mais je suis bien placée pour lui dire ça. Je ressens ce qu'il ressent - à un point près parce que de là à placer un mouchard sur le téléphone de sa dulcinée. Sans façon. 

_ Rejoindre une fille.

_ Tiens ! Alors comme ça tu laisses voir ton vrai visage. Tu sais les filles viennent et vont, il m'imite.

_ Contrairement à toi, cette fille elle veut bien de moi.

_ Vous sortez ensemble ?

Diable, bien-sûr que non. Son frère me rendrait poussière. Mais à quoi je me risque en allant la voir dans ce cas ? Qu'est-ce que j'attends de cette nuit ? La partie encore bourrée en moi me murmure que je voulais lui chanter la plus belle des sérénades et lui dire à quel point elle était belle et à quel point je désirais l'embrasser jusqu'à ce que nos souffles ne tiennent plus. La partie consciente qui gagne peu à peu du terrain dans ma tête me murmure de monter dans ma jeep  et faire demi-tour le plus vite possible. Mais comme je l'ai dit tantôt, Cailee est dominante dans ma tête. Et bien-sûr elle gagne à coup sûr.

_ En quelque sorte.

Je me voile la face devant ce gamin pour sauver ma dignité et ma masculinité parce que je me suis moquée de lui il y a à peine quelques minutes.

_ Vous ne sortez pas ensemble, il conclut en prenant une autre gorgée de vodka.

_ En effet, nous ne sortons pas ensemble. Mais ce qui se passe entre nous ne peut pas être atteinte par ton cerveau de morveux prépubère.

_ Dis toujours.

Mon anxiété et ma nervosité me pousse à me justifier auprès de ce morveux. Là, je sais que mon cerveau est encore sous emprise de l'alcool parce que je débite le truc le plus gnangnan de ma tête - mais peut-être est-ce que je ressens réellement.

_ On se désire. Pas sexuellement mais spirituellement. On sait qu'on n'a aucune chance de sortir ensemble mais on se laisse pousser par cette force d'attraction qui nous pousse dans  les bras de l'autre. On joue avec le feu mais on sait que ça en vaut la peine.

A ce moment là, au moment où ces mots sortent de ma bouche, j'obtiens ma réponse. Je joue avec le feu mais putain que ça en vaut la peine.

Je ne laisse pas le temps au morveux de répliquer que je saute au volant de ma jeep, impatient de rejoindre Blanche Neige. Un fois le moteur allumé, je balance une dernière phrase  au morveux.

_ N'abandonne pas, morveux. Si tu crois que ça en vaut la peine, n'abandonne jamais.

Je me suis senti comme un vieux qui en connaissait un rayon sur les conseils d'amour. Mais j'ai une euphorie inexplicable à cet instant. Un enthousiasme hors norme qui bouille au fond de mes tripes et qui me chatouille l'estomac. Un sourire stupide collé au visage, je crois bien pour la première fois de ma vie ressentir des papillons dans le ventre.

 




Gasparini : Cailee & Alexander (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant