Le Monastère de Rangil

La Magie. Il n'existe aucun sujet sur cette terre qui ait fait autant l'objet de controverses, de recherches et d'interrogations. Bien qu'elle soit présente dans notre quotidien à tous, ses effets, son fonctionnement et sa nature même échappent très largement à notre compréhension. Même le mage le plus compétent et le plus érudit aura du mal à expliquer ce qu'il ressent lorsqu'il incante un sort. Parmi toutes les questions que la magie suscite, l'une d'entre elle est particulièrement polémique, à savoir la question de son attribution. Pourquoi tel enfant nait avec des pouvoirs et pas un autre ? L'hérédité est importante mais elle ne fait visiblement pas tout. Il y a-t-il des règles cachées derrière ce qui ressemble à un hasard total ? De nombreux mages ont tenté de répondre à cette question, parfois de manière isolée mais souvent au sein de groupes organisés, voire de confréries aux méthodes ... discutables, comme nous allons le voir ici.

Dans un petit village tranquille au nord de Lertar vivait Oliet et ses deux filles Mera, sept ans, et Peren quatre ans. C'était une famille assez modeste et sans histoire qui possédait une petite ferme isolée. Oliet était très appréciée dans le village et la plupart de ses voisins admiraient la relation qu'elle avait avec ses enfants malgré le peu de temps que le travail à la ferme lui laissait avec elles. Rien ne laissait soupçonner qu'un drame allait bientôt briser leur bonheur.

Un soir d'hiver en effet, le chaton de Peren, Bubu, s'enfuit par la fenêtre, Mera, très protectrice envers sa sœur ne voulut pas la laisser sortir dans le froid et courut elle-même à sa poursuite. Peren ne le savait pas encore mais c'était la dernière fois qu'elle voyait sa sœur. Oliet, prévenue par les pleurs de la petite fille chercha Mera partout aux alentours de la maison malgré l'heure tardive, elle alla même jusqu'à demander de l'aide aux autres villageois mais rien n'y fit, l'enfant avait disparue.

Au lever du jour, des chasseurs se portèrent volontaires pour chercher des traces de Mera et découvrir ce qui lui était arrivé. L'ambiance était morose, car beaucoup d'entre eux craignaient une attaque de prédateurs. Après plusieurs heures de battue minutieuse, ils découvrirent la piste de la fillette et la suivirent. Elle s'était perdue dans la forêt, puis s'était mis à courir, visiblement poursuivie avant que ses traces ne s'arrêtent brutalement au bord d'une rivière. Il n'y avait ni sang ni branche cassée qui put étayer l'hypothèse du prédateur, mais les chasseurs découvrirent quelque chose de bien plus inquiétant encore : des empreintes de bottes.

Pas un seul d'entre eux n'avait envisagé la possibilité d'un enlèvement, c'était une petite communauté tranquille ou rien d'aussi affreux n'était jamais arrivé et aucun villageois n'avait quoi que ce soit de sérieux contre cette famille. Ils suivirent donc les traces de bottes, et s'engagèrent d'un pas hésitant sur l'unique sentier qui s'enfonçait au cœur de la forêt.

Midi était déjà loin lorsqu'ils atteignirent la colline de Damion, qu'ils connaissaient de nom pour sa mauvaise réputation.

« Personne ne sait ce qu'il s'est passé dans ce coin de la forêt mais au village il se dit qu'au-delà de cette colline l'endroit est maudit » raconta Barnabas, un des chasseurs présents lors de l'expédition. « Quand on a vu que les traces de pas continuaient après et qu'on n'arriverait pas à rentrer avant la nuit, certains des chasseurs ont décidé de rentrer chez eux mais moi, Nyl et Elen on a continué parce qu'on avait tous les trois des enfants de l'âge de la petite vous comprenez » ajouta-t-il dans son témoignage.

Ils s'engagèrent sur le chemin inconnu sans perdre de vue les traces de pas, visiblement le kidnappeur n'était pas très à l'aise dans la forêt. S'il avait tenté jusqu'ici de camoufler maladroitement ses traces, il s'était relâché à l'approche de la zone « maudite ». Le jour et le courage des chasseurs commençaient à diminuer lorsqu'ils virent au loin un large édifice d'apparence austère.