C'est drôle comme un tout petit truc peut mettre fin à un bonheur si vite, à n'importe quel moment. Il suffit qu'une roue dérape pour que la voiture fonce dans un poteau et que les passagers y passent. En tout cas, c'est ce qui est arrivé à ma famille. En une seconde, on est passé de fous rires à cris de panique, puis, le silence d'un cadavre. Quand je dis cadavre, je veux parler de mes parents et ma grande soeur, hein. Moi, j'ai (malheureusement) survécu. À ce jour, je me trouve pathétique de les avoir interpellé comme un fou en espérant qu'ils ne soient pas vraiment... mort. Que nos fous rires ne s'arrêteraient pas là. Que je puisse réaliser mon rêve...
-David! T'as noté la date de l'examen? m'interroge Mme Boisvert, me tirant hors de mes pensées.
-Oui, le quinze décembre à la troisième période... me contenté-je de répondre. Voyant bien que je n'ai pas l'air dans mon assiette (ce qui ne change rien de d'habitude), elle s'exclame:-Pourrais-tu rester dans la salle après la cloche, s'il te plaît? demande l'enseignante de sciences. Je me contente de lâcher un "oui" sans enthousiasme.
Mes camarades se murmurent entre eux très bas, mais je peux reconnaître des phrases tel que "Y'est dans' marde!" ou encore "Il va se faire passer un ostie de savon!", mais je m'en contrefous.
Le cours se poursuit dans le calme. Au lieu d'écouter, je regarde Patrick, un mongole de la classe assit à côté de moi, en train de dessiner des parties génitales sur son bureau. Caliss d'immature.
La sonnerie retentit après ce qu'il me semble une éternité. Tout' les autres se ruent hors de la classe. Moi, comme promis, je reste avec la prof.
-Y a un truc que vous vouliez me dire? demandé-je, levant légèrement le sourcils.
-T'avais pas l'air d'aller bien, je m'inquiétais un peu... déclare-t-elle nerveusement après plusieurs secondes.
-Une mauvaise journée, j'imagine, dis-je en haussant les épaules, m'apprêtant déjà à partir.Mme Boisvert m'attrape le bras et continue:
-Attends! Je te vois tous les jours comme ça... T'as jamais l'air de filer ben... lâche-t-elle, son regard remplit d'une pure inquiétude. Plus brusquement que je ne le veux, je repousse son bras.
-Criss! Qu'est-ce qui vous prends?! Je vais correct, ok? Faque, laissez-moi tranqu-L'enseignante me coupe en me prennant dans ses bras. Ce n'est que là que je réalise que je me suis laissé emporter. Sa main me passe doucement dans les cheveux, comme une mère qui réconforte son fils. Je dois avoir l'air bête, choqué comme ça, avec la tête enfouie contre sa (gigantesque!) poitrine. Mais on dit aussi que se lâcher, de temps en temps, ça fait du bien. Pas faux.
-Je t'ai eu comme élève depuis que trois mois, mais je te connais assez pour savoir que t'as quelque chose sur l'coeur dont ça te tente pas de parler... marmonne-t-elle après un long silence. Je reste immobile, ne prenant même pas la peine d'essuyer mes larmes. J'avale ma salive, puis murmure d'un ton rauque:
-Je repensais à ma famille...
Le fait que je l'affirme si ouvertement me surprend moi-même. En même temps, ce n'est pas vraiment un secret. Sur mon dossier, dans la section "tuteur", il y a le nom de famille de Carla, et non celui de mes parents.
C'est ma cousine qui a prit soin de moi après la mort de mes parents.
Mme Boisvert continue à me caresser la toison en me murmurant des mots doux comme "pauvre chou" ou "pleures pas". Si elle pense vraiment que ça va me consoler, c'est qu'elle est ben conne! J'ai treize ans, pas quatre!
Alors, pourquoi suis-je en train de la caliner en retour? Aucune idée.
Je sors de la classe de longues minutes plus tard. Je soupire, rassuré de ne pas avoir manqué mon autobus. Patrick me saute littéralement dessus et s'exclame:
-Il s'est passé quoi avec la prof, coudonc? Y'a des gens qui pensent que vous avez baisé!
-Ouache! Elle a vingt ans de plus que moi, caliss! rétorqué-je en le repoussant.
-Mais avoue quand même qu'elle est hot! insiste-t-il.
-Non, c'est juste toi qui regarde pas plus haut que ses seins!
-Mais non! glousse-t-il.Faut pas que je lui dises comment j'ai été étouffé par sa pointrine.
D'un pas lent, je monte les escaliers de l'appartement. Je cogne à la porte du numéro 7, au deuxième étage, en attendant que Carla m'ouvre.
-Salut! me salue-t-elle d'un air excité. Comment s'est passé ta journée?
-J'ai eu un exam en maths... Sinon, c'était correct, dis-je en m'écroulant sur le canapé.
-Je vois! s'exclame Carla avant de commencer à me raconter la sienne. Je l'écoute à moitié, l'autre moitié plonge dans les souvenirs.Après que Carla ait obtenu ma garde, j'ai du abandonner tout ce qui me procurait de la joie: le patinage artistique. Elle venait de commencer à travailler à l'époque, donc ses moyens étaient limités. À cause de ça, mes cours n'ont pas pu être financés et j'ai du arrêter de m'entraîner. Au début, elle m'emmenait à la patinoire du quartier pour que je patine quand même. Cependant, mes patins sont bientôt devenus trop petits pour mon corps en plein puberté, et en racheter aurait été une trop grosse dépense. Des patins de ma pointure peuvent couter dans les 400$, et c'est cher! Pour ces raisons, je ne pratique plus ce sport depuis que j'ai 11 ans, en d'autres mots, depuis l'année où mes parents sont morts.
-Hé, tu m'écoutes, David? dit-elle en haussant le ton.
-Scuze... J'étais dans la lune... soupiré-je. Elle lâche un gloussement.
-Pas grave... Je te disais, je pars en formation à Québec pour le reste de la semaine. Tu penses-tu que tu vas pouvoir te débrouiller seul à la maison?Québec? C'est pas la porte à côté, coudonc! De Carignan jusqu'à la capitale de la province... Si on passe par l'autoroute vingt, ça doit faire un bon deux heures et demie!
-Mouains, ça devrait aller, marmonné-je en me levant. J'ai des devoirs dus pour demain, je dois m'y mettre. Pas besoin de m'appeler pour le souper.
Sur ce, je me dirige vers ma chambre.
Quand on marche dans celle-ci, on ne peut pas dire que je ne connais rien au patin. Au contraire, les murs sont couverts de patineurs connus, la plupart même qui on participé à de grandes compétitions.
Il y en a une que j'admire en particulier: Justine Miclette. Une patineuse québécoise venant de Chambly qui est montée sur le podium aux Jeux Olympiques. Quand je pense qu'elle s'est entraînée au CPA Chambly (Club de Patinage Artistique de Chambly), tout comme moi quand je suivais encore des cours, ça me fout la rage. Je l'ai vu une fois en vraie vie, et c'était pendant sa prestation à la Revue Sur Glace deux-mille-dix-neuf! (le spectacle de fin de saison) J'aurais tellement pu lui parler, mais, à l'époque, je me concentrais surtout pour me retrouver moi aussi sur le podium.
Je m'écroule sur mon lit, ennuyé. Si je retourne au club, est-ce qu'elle sera toujours là?
Je soupire. C'est ridicule. Faut que je finisses ce devoir, à la place de rêver. Je ne pourrais jamais patiner de nouveau.
Le lendemain, je me réveille toujours dans les même vêtements que la veille, mon étui à crayons sur ma gauche et mon téléphone sur ma droite. Mon cahier d'excercices repose sur mon torse, ouvert à la page où que j'avais enfin fini. À moitié endormi, je rammasse mon tel, puis regarde l'heure. Six heures vingt-trois. C'est bon, je ne suis pas en retard. Je me lève et range mes affaires dans mon sac. Flemme de me changer.
Je me dirige vers la cuisine pour me prendre un fruit à manger en déjeuner, mais une odeur de pain parfaitement grillé infiltre mes narines. Je tourne le regard vers la table à manger. Un pain au beurre de pinottes, mon préféré. À côté est posé une boite emballée de papier cadeau.
Ah oui, aujourd'hui, c'est mon quatorzième anniversaire. Je marche en direction de la boite et retire avec prudence l'emballage pour pas l'abimer. Puis, j'ouvre la boite. Le contenu réel de celle-ci est caché dans du papier de soie. Je l'enlève pour voir le présent.
Une paire de patins noirs Jackson.
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1409 mots
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ICE!
Non-FictionAprès la mort de ses parents, David ne peut plus patiner. Désormais, plus personne ne peut financer ses cours. Sa cousine, Carla, âgée de 21ans à l'époque, devient alors sa tutrice légale. À cours de moyen, elle est dans l'incapacité de payer un ent...