Une subtile odeur de gaufres bien chaudes me tire de mon sommeil. Nous sommes la veille du départ de Didi ainsi que de notre rentrée en terminale. Je suis un peu anxieuse à l'idée qu'elle ne sera pas là pour le premier trimestre. Demain, pour la première fois, je prendrai seule la route du lycée.
J'ai passé la majeure partie de la nuit à me noyer dans le flot de mes pensées, rongée par l'angoisse. Je ne saurais dire ce qui exactement me terrifie le plus : affronter tous ceux qui ont assisté à mon échec sur scène ou, pire encore, à la soirée. Il y a aussi la composition des classes. L'année dernière, on m'a enlevé ma sœur, demain ça pourrait être le tour de Cass. En dehors des cours, je pouvais compter sur la bande au complet parce qu'ils sont avant tout les amis de Didi. Sauf qu'elle ne sera plus là.
Le bruit de ma porte vient couper mon instant pessimiste : ma mère ne connaît pas le principe de vie privée.
– Dylan t'attend en bas, m'annonce-t-elle tout en ouvrant les volets de ma chambre.
Aujourd'hui, elle est à peine maquillée, ses cheveux noirs sont relevés dans un chignon accroché à la va vite avec une pince. On peut lire dans le fond de ses yeux bleus qu'elle est épuisée. Elle est affectée par le départ de Didi, ce n'est pas un secret. Mon estomac se noue quand même. Je vais bien aussi, maman.
Elle fait le tour de ma chambre et attrape les quelques vêtements qui traînent, sans commentaire pour une fois. Je saute sur mes pieds pour aller l'aider. Trop vite, tout tourne. Ma vision devient noire quelques secondes mais je parviens à dissiper le vertige en inspirant profondément.
– Laisse, je vais le faire, le petit déjeuner est sur la table et le dîner dans le four, on se voit ce soir.
– Attends maman !
On est pas très doué pour s'exprimer dans cette maison, pour parler tout court. Ces dernières semaines n'ont pas aidé. Ma mère a pris l'initiative de travailler les dimanches dans le but d'économiser pour les besoins de Didi une fois aux États-Unis. Un deuxième boulot qui a achevé la construction du grand mur qui nous séparait déjà. Mes parents ne se voient même plus. Quand l'un est à la maison (pour quelques heures seulement), l'autre travaille.
Depuis petite, c'est de mon père dont je suis la plus proche. En ce moment cependant, nous sommes presque des étrangers. Je ne lui en veux pas, il aide Didi à se préparer. La culpabilité d'avoir mal à cause de cette situation est pire que la douleur en elle-même. Ils font de leur mieux, ça devrait me suffire.
– Merci, je lui souffle de ma voix cassée.
La surprise passe sur ses traits fatigués. Bien vite remplacée par sa neutralité protectrice.
– Tu trouveras du miel dans le placard au-dessus de l'évier.
Je ravale ma déception. Elle travaille dur, à quoi je m'attendais ?
– Bon courage, je parviens à lui lancer avant qu'elle ne disparaisse.
Bon courage ? Un nourrisson aurait trouvé mieux. Je ne suis pas meilleure qu'elle. Je ferais mieux de me dépêcher pour éviter à Dylan de m'attendre plus longtemps. J'ai déjà assez merdé en l'espace de quelques minutes.
J'attrape le premier tee-shirt qui vient, un basique marron à manches courtes et un jogging noir. Simple, cosy, efficace. Je passe un coup de brosse dans mes cheveux à moitié frisés, ce qui bien sûr est la pire des idées ; ils sont déjà assez épais comme ça. De toute façon je les attache toujours, qu'est-ce que ça va changer ? Un coup de spray à l'eau et ça rebouclera un minimum. Passable.
Dylan est adossé au comptoir de la cuisine, une gaufre sans garniture à la main. C'est au moins la millième fois qu'on lui dit de faire comme chez lui, mais il rechigne toujours à s'asseoir où que ce soit. Au moins il a pris la gaufre, sûrement par politesse, mais c'est déjà ça.
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Dans l'ombre des étoiles
RomanceAva a toujours vécue dans l'ombre de sa sœur jumelle. Alors quand celle-ci est sélectionnée pour un concours mondial de chant et s'envole pour les Etats-Unis, son monde s'écroule. Livrée à elle même, elle va devoir faire face à sa dernière année de...