Chapitre 3

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– C'est moi ou j'ai l'impression que tout le monde me dévisage ?

– Je n'irais pas jusqu'à dire tout le monde, essaie de me rassurer Cass tout en accélérant le pas sur le parking du lycée.

   Elle marche anormalement vite, même pour une rentrée. En temps normal, j'aurais pu penser qu'elle est juste stressée à propos de la répartition des classes. Enfin, si elle n'était pas Cass.

   C'est le genre de personne imperturbable qu'on pourrait croire sous drogue alors qu'elle est juste complètement détachée depuis la naissance.

   Comment elle fait pour être si rapide avec de telles bottines aux pieds ? La semelle est si épaisse qu'elles doivent presque peser son poids. En plus, le vent nous arrive en plein dans la face alors que le chemin de l'entrée est en côte, parfait.

– Est-ce qu'il vient de me montrer du doigt ?

   Je désigne un mec brun assis sur les marches de l'entrée entre deux respirations.

– Qui ça ?

   Nous y revoilà, Cassandre affiche la même expression qu'après la fameuse soirée. Elle sait quelque chose que j'ignore.

– Crache le morceau !

   Je me plante devant elle comme un piquet, mon regard plongé dans le sien, essayant d'ignorer les yeux qui se posent sur moi par la même occasion.

– Il y a peut-être une vidéo, avoue-t-elle à mi-voix.

   On ne peut pas rêver mieux pour débuter une dernière année de lycée. Est-ce que ça m'étonne vraiment ? Je baisse les yeux et fixe intensément le sol, dans l'espoir qu'il s'ouvre sous mes pieds. C'est le genre de trucs qui suffit à ébranler l'attitude zen de mon amie.

– Si je peux me permettre, t'étais pas mal convaincante en Didi, ils y ont vraiment cru, d'où la vidéo. Tu devrais envisager une carrière de comédienne.

   Elle tente de détendre l'atmosphère, un sourire maladroit plaqué sur ses lèvres.

– Ça aide pas Cass, je lui réponds sèchement.

   Devant son expression peinée, j'ai du mal à contenir mes remords. J'ai tendance à être assez agressive quand je panique. Au-delà de ça, je vois bien que mes sentiments l'affectent. Elle est le genre de personne à voir toujours le verre à moitié plein, et moi à moitié vide. Notre amitié est vraiment sortie de nulle part, et je suis consciente d'avoir de la chance de l'avoir. Les personnes comme elle se font rares, il n'est pas question que je lui gâche son premier jour.

   Sous le poids du silence entre nous, malgré la foule, nous dépassons l'attroupement d'élèves qui doit bien stagner devant le lycée depuis une bonne demi-heure. Les conversations tournent toutes autour des mêmes sujet : les vacances, les profs, la liste des classes, le manque de sommeil caractéristique d'une reprise et souvent... moi. Personnellement, j'ai un peu mieux dormi que les nuits précédentes malgré tout ce qu'il s'est passé à l'académie. Le sommeil a fini par me rattraper mais je suis toujours aussi exténuée. Il n'a malheureusement pas le don de guérir une âme épuisée.

   Les couloirs s'étendent devant nous tels un pressoir géant. De part et d'autres, des portes décolorées en nombre qui s'étendent à perte de vue sur les vieux murs autrefois verts. Un lycée tout ce qu'il y a de plus normal en soi. Des graffitis par-ci par-là, des trous dans les murs, un vieux carrelage gris. Rien de bien extraordinaire. Je n'aurais pas été contre un peu plus d'espace, mais au moins ça m'évite de me retirer dans mon coin, quoi que ça m'aurait bien été utile là maintenant. Difficile de fuir dans un espace si réduit.

Dans l'ombre des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant