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Dans sa minuscule chambre, qui tenait plus de la cellule carcérale qu'autre chose, un jeune homme tournait en rond, à l'intérieur du peu d'espace libre dont il disposait. Il ne réfléchissait pas. Il patientait, attendant l'heure de l'inévitable.

Erwan allait encore craquer. La dernière. Pour céder à la tentation, il devait réussir son projet d'évasion parce qu'il avait une ultime chose à faire avant... de partir.

Il avait tenu le plus longtemps possible, gardant l'espoir qu'ils le laisseraient bientôt sortir. Carlo, l'aide-soignant de nuit - le garde-chiourme du pavillon Bleu en réalité - lui avait enlevé toute raison d'espérer, hier soir, après une autre de leurs altercations. Ce gros porc avait encore tenté de glisser ses sales pattes sur lui. Cette énième agression l'avait rendu malade, à tel point qu'il avait vomi sur l'autre salaud et depuis, le jeune homme était encore plus déterminé à réussir...

Le prisonnier rongeait son frein. Cette nuit sonnerait la fin de la comédie qu'il jouait à tout le monde ainsi qu'à lui-même. Son visage concentré reflétait un semblant de courage qui ne s'y trouvait pas encore hier. Et c'était surement ce qui le tenait éveillé si tard dans la nuit. Erwan se sentait enfin prêt.

Son psychothérapeute pouvait bien lui expliquer qu'il se trouvait là pour son propre bien-être, lui savait très bien pourquoi il avait accepté de se laisser enfermer dans ce centre spécialisé dans les TCA . Parce que... Il n'avait aucun problème avec la nourriture. C'était juste que son corps était en phase avec son esprit. Erwan avait perdu l'appétit le jour où il avait réalisé qu'il était éperdument amoureux de son voisin et ami d'enfance Nico. Il ne détestait pas son corps mince et trop gracile pour un garçon. Il n'avait juste plus assez faim pour que le peu de nourriture qu'il ingère soit suffisant pour étoffer sa carrure. Tous les aliments avaient perdu leur saveur. Tout était devenu fade et insipide. Alors à quoi bon manger dans ces conditions ?

N'ayant jamais été attiré par qui que ce soit avant cette découverte, son orientation sexuelle était une surprise pour lui. Son psy lui soutenait qu'il était toujours en plein déni et que l'origine de son mal-être pouvait se trouver cacher quelque part dans son environnement familial très peu... accueillant. Un doux euphémisme pour évoquer ses géniteurs ! Si Erwan avait eu peur un jour, ce n'était sûrement pas pour lui-même mais plutôt pour... Nico.

Admettre son homosexualité et faire son coming-out l'aurait obligé à affronter le regard des autres sur celui qu'il admirait et aimait depuis plusieurs mois. Nico, le sportif dans l'âme, le dragueur sélectif et l'ami constant lui aurait-il toujours accordé la même attention ? Son regard bienveillant, plus proche d'un frangin que d'un ami, se serait-il terni ? Cela il n'aurait pu le supporter. Perdre son amitié, son estime et sa confiance pour découvrir dans ces grands yeux noir du dégoût, de la honte voire pire, du rejet... hors de question.

Son psy lui confirmerait que sa lâcheté pitoyable ne ferait jamais de lui un compagnon recherché mais Erwan s'en foutait. Le médecin parlait thérapie, dialogue et prise de conscience, cherchant la cause d'une anorexie mentale. Personne ne voulait comprendre qu'il n'était pas malade. Lui ne pensait qu'à protéger son amour à sens unique. Jusqu'à maintenant, le jeune patient était parvenu à mentir à toute l'équipe médicale. Il avait précieusement et jalousement conservé pour lui ses secrets. Son amour pour Nico resterait pur.

Il n'avait pas compris que les regrets étaient souvent de bien pires fardeaux que les remords.

Il s'arrêta de marcher et ferma les yeux. Le visage souriant de son ami apparut aussitôt derrière ses paupières, aussi vivace que lors de leur dernière rencontre, celle qui avait soldée leur longue amitié. Erwan pouvait encore visualiser l'instant où la colère avait remplacé l'incompréhension chez son camarade. Englué dans ses doutes, il avait suivi l'adage selon lequel la meilleure défense restait l'attaque. C'était la seule manière qu'il avait trouvée pour régler son problème. Utilisant un prétexte stupide, il avait sonné le glas d'une belle amitié qui n'aurait jamais pu évoluer selon son point de vue.

La Drogue du BonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant