Chapitre 8

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   Il pleuvait ce jour-là. De fortes pluies qui cognaient violemment contre les fenêtres, pas de légères qui nourrissent les oisillons. Il s'agissait, évidemment, du jour que j'avais choisi pour aller m'expliquer avec Haïcé. Je ne l'avais pas vue depuis une semaine. J'avais été pris par une chose puis par une autre, ce qui m'avait bloqué pendant sept jours entiers. J'étais dépassé par un tas d'émotions qui me correspondaient peu. Je n'avais pas osé l'appeler, trouvant cette façon de faire trop impersonnelle pour ce que c'était. Pour ce que je comptais lui dire. Alors, je me retrouvais en ce jour de repos, regardant par la fenêtre, désespéré car je détestais sortir en temps de pluie. Beata n'était pas là, fort heureusement. Elle avait reçu un appel qui l'avait obligé à sortir dans la précipitation. J'en étais ravi, elle n'était pas là à me faire sortir de mes gonds pour un oui ou pour un non. En attendant, j'étais encore chez moi. Je ne savais même pas s'il serait là, chez lui, comme je l'espérais. Il pouvait très bien être aux répétitions, me maudissant. Je me rends compte aujourd'hui que j'étais doté d'un égo bien trop imposant. Qui disait qu'il pensait à moi ? Il m'avait déjà certainement oublié, pourquoi se fatiguerait-il avec un homme qui lui avait posé un lapin ?
   Me munissant d'un parapluie, je sortis enfin de cet appartement. La tête orientée vers le sol, la pluie frappant contre moi, je marchais en direction de chez lui. Je ne voulais pas prendre le risque de me rendre sur son lieu de travail avec une foule qui pouvait nous voir. Je m'imaginais en train de le calmer car il serait en pleine crise en me voyant arriver avec un tas de culot. Une fois devant ce grand immeuble, je me rendis compte de ma bêtise. Je ne possédais aucun moyen d'entrer, hormis si quelqu'un rentrait et que je passais après. Mais c'était totalement déplacé, je ne me voyais absolument pas faire cela. Alors, dos tourné, adossé contre le mur juste à côté de l'entrée principale, je me mis à patienter. Je ne savais pas combien de temps cela pouvait durer, mais j'avais été pris d'une détermination rare. La pluie tapait, les gens passaient, j'attendais. Le regard orienté vers ce qu'il y avait face à moi, je pense qu'on aurait pu me prendre pour un fantôme. Je ne bougeais pas, ne respirant que très peu à cause de l'angoisse qui ne cessait de s'imposer au fond de mon ventre.

— Qu'est-ce que tu fais là ? me demanda-t-il soudainement, sorti de nulle part, ce qui me surpris.

— Je voulais te voir, pour m'excuser.

— Ça fait longtemps que tu es là ?

— Je ne sais pas.

— Monte.

   Nous montâmes en silence. Je n'osais pas prendre la parole alors que j'étais là pour cela. C'est moi qui m'était présenté de force, alors je me devais de dire quelque chose, mais ma bouche était comme celée. Nous entrâmes chez lui et il ôta ses chaussures, m'intimant de faire de même. Il se posa sur son canapé, une jambe sur l'autre, le regard fixe, orienté vers moi. Je me souviens qu'un jeu de regard s'était initié entre nous, ce qui était plutôt déstabilisant. Je me sentais totalement démuni face à lui et cette réaction m'effrayait. Il arrivait de poser des lapins aux gens, je n'étais pas le premier à faire cela et certainement pas le dernier. Mais je prenais cela comme une affaire d'État, ce qui était absolument inapproprié. Mais comme il s'agissait de lui, de mon Haïcé, je voulais me montrer parfait à ses yeux. Je ne voulais pas qu'il ait quelque chose à me reprocher, hélas, c'était peine perdue. Je ne pouvais pas être irréprochable. Il me regardait, sans lâcher un seul mot, je crois qu'il me testait. Mais me tester pour quoi ? Je perdais complètement la boule, c'était honteux. Moi, qui avait su pendant de si longues années garder mon sang froid, j'avais tout perdu. Surtout en présence de cette personne, il réussissait à me faire perdre tous mes moyens.

— Je suis venu pour te dire que je suis vraiment désolé de ne pas être venu lorsque nous devions nous voir, l'autre soir. J'ai été pris par un imprévu.

— Et pourquoi ne venir que maintenant ? C'était il y a une semaine déjà.

— Je sais, j'entrai dans le salon en gardant malgré tout une certaine distance avec lui, j'ai eu énormément de travail cette semaine.

— C'est facile à dire.

— J'en ai conscience. C'est complètement osé de ma part de venir ici, à attendre devant chez toi pour un pardon, mais je tenais à le faire. Et crois moi, si j'avais pu je serais venu plus tôt.

— Le téléphone existe sinon, dit-il en me souriant.

— Je voulais le faire en face.

— Bon, ne t'inquiète pas, tant que ça ne se reproduit pas.

— Merci, soufflais-je.

   J'étais totalement entré dans son habitat tandis que lui s'était rapproché de moi. Nous étions face à face, bien que je baissais légèrement la tête de part sa taille plus petite que la mienne. Une envie soudaine me prit, une envie que je ne pouvais réprimer qu'en fuyant. Je le regardais, droit dans les yeux, puis je passais à ses lèvres. Je n'ose même pas dire ce que j'aurais aimé faire ce jour-là. Ses cheveux étaient mouillés, je l'avais remarqué uniquement en étant plus proche de lui. J'ai connu un meilleur sens de l'orientation que celui dont j'ai eu affaire ce jour-là. Il avait des mèches qui lui brouillaient la vue, ou du moins il s'agissait de l'excuse que je m'étais trouvé afin de faire ce que j'avais fait. La main tremblant légèrement, une boule se formant dans ma gorge, je lui déplaçais une mèche pour la ranger derrière son oreille. Il ne protesta pas, me regardant avec ses yeux qui me hantent la nuit. Un grondement frappa le silence de l'air, suivie d'une pluie bien plus agressive si cela était possible. Il faisait alors plus sombre, j'avais remis ma main le long de mon corps, le fixant de nouveau.

— Tu as un air bien mystérieux en regardant par la fenêtre, me dit-il en rompant le silence.

— J'ai toujours aimé les orages.

— Pas plus que ça pour ma part, il se retourna pour suivre mon regard qui avait encore changé de direction.

— Je trouve que la nature est vraiment bien faite, alors lorsqu'il y a des orages je me pose et me sens apaisé par les coups que ça provoque. Je sais, ça n'a pas trop de sens.

— On n'a pas toujours besoin de sens pour comprendre ce que l'on ressent.

   J'acquiesçai silencieusement. Me sentant enfin bien, apaisé. Je me posais alors au sol, les jambes en tailleur, observant sa fenêtre. Je sais qu'il avait ri en me voyant faire mais il fit de même. Nous regardions par la fenêtre, dans une position totalement inconfortable mais suffisamment agréable pour nous détendre. La tête relevée, je regardais la pluie cogner. Il posa sa tête contre mon épaule. Autant dire que j'avais senti mon cœur bondir dans ma poitrine et cesser de battre pendant quelques secondes qui me parurent interminables. Je ne bougeais point, le laissant faire, appréciant fortement ce doux moment. Il ne disait rien, laissant nos sentiments si singuliers s'exprimer à notre place, silencieusement. J'ai ressenti tant d'émotions à cet instant précis. Je ne voulais plus que lui sur moi. Plus aucun toucher ne devait m'atteindre à part le sien. Je me sentais si bien que j'avais même pensé que je m'étais même demandé si j'étais encore en vie. J'avais du mal à croire que mon bonheur soit si puissant, que je puisse le ressentir à ce point au fond de moi. Je brûlais de passion. Mon cœur, lourd. Mes oreilles, bouillantes. Ma respiration, insoutenable. Je ne sais pas combien de temps nous étions resté ainsi, sans bouger, le bruit de la pluie et de nos respirations résonnant dans son metit appartement parisien.
   À vrai dire, je n'ai plus aucun souvenir de la fin de cette soirée. Je sais juste que cela a été un tournant dans ma vie, dans ma façon de le considérer et qu'encore aujourd'hui, lorsque je ferme les yeux en présence d'un fond sonore de pluie, je pense à lui et je ressens sa tête posée sur moi. Je ressens cette sensation comme si elle était ancrée dans ma personne. Je me sens prisonnier de son toucher. 

Du bout de tes doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant