La Rose Éternelle 3, Ahwlalal

Chapitre 13, Falaises

Ilkka

C'est sur un tas de feuilles mortes que je me réveille. Le village a disparu. Plus rien n'embellit le paysage. Nitacara a disparu, comme si nous l'avions rêvée. Je ne sais même pas par où nous devons partir, tous mes repères sont perdus. Je ne sais plus rien, comme si mon cerveau avait tout inventé. Inventé tous ces derniers jours. Ce dont je suis sûr, c'est que nous sommes pas loin de la frontière. Celle de quel pays, là réside tout le mystère.

Une grimasse de douleur m'arrache le visage lorsque je me penche pour me relever. Les filles sont déjà assises autour d'un jeune feu. Contre ma volonté, je les rejoins :

- Ahwlalal est entouré de falaises et de cascades. On pourrait marcher jusqu'à en trouver. Le but était qu'il soit impossible d'y entrer sans magie, alors les falaises sont la meilleure protection.

Tancah relève sa tête vers moi :

- Elle a raison. C'est notre seule chance de sortir d'ici.

XXX

Ilkka

- Tu sais, quand on était encore au Village des Oubliés, j'ai entendu deux personnes parler d'un royaume où personne ne veut aller. Un royaume de désert et de sable.

Kio et moi marchons quelques pas en arrière de Tancah en discutant, pour ne pas nous laisser dévorer par le silence infernal.

- C'est sans doute d'Isnaï qu'ils parlaient.

Nous hâtons le pas pour rester dans la faible lumière de la lanterne :

- C'est un royaume où la magie noire est reine à cause de Samabana. Il a la faculté de se transformer en dragon de sable. Il y a un tas d'histoires à son sujet.

Les rayons du soleil balayaient le sable bien avant que les hommes aient conscience de l'immensité que le désert leur offrait. Une terre aride mais remplie de ressources et de magie. Elle ne se fabrique pas avec quelconque plante ou quelconque ossement d'un animal rare, non. C'est d'avantage par de la dévotion à sa part magique, aidée par des incantations, que les hommes les plus puissants sont capables de créer la magie.

Toutes sortes de créatures, créées par la magie des hommes, apparurent au fil des siècles. Une, en particulier, se lia à son créateur, le rendant immortel. C'est ainsi que Samabana devint le roi d'Isnaï, terrorisant son peuple avec son immense dragon de sable, capable de prendre n'importe quelle forme en un claquement de doigt.

Ce ne sont que quelques dizaines d'années après son accession au trône qu'un jeune marchand du nom d'Huracán s'intéressa d'aussi près que Samabana à la magie, mais pas pour lui ressembler.

Pour le détruire.

Il a travaillé des nuits durant, éclairé par la seule lumière des deux demi-Lunes qui se croisent dans le ciel pour ne former qu'une seule entité à minuit. Une entité blanche et pure, comme la magie qu'Huracán voulait créer pour combattre les Ténèbres obscures du roi.

Lorsqu'il eu des cernes sous les yeux aussi noirs que le monstre de son adversaire, ses iris se remplirent d'étoiles dorées. Il était enfin prêt à libérer son peuple de la tyrannie et lui rendre sa lueur d'entant.

Il ferma les yeux, et penser à la plus belle créature qui pouvait exister dans le monde. Il se concentra sur chaque détail. La couleur des cheveux, la forme des yeux, les plis de sa robe blanche aux reflets argentés. Devant lui, elle prenait forme, apportant un courant d'air frais à la chaleur que le feu procurait à Huracán.

Lorsque ses paupières se rouvrirent, il la vit. Un ange. Une déesse, même. Elle lui tendit la main, et ils partirent ensemble en nuage de poussière. Elle savait ce qu'elle devait faire. Utiliser sa lumière pour y noyer les Ténèbres. Lui devait simplement le lui ordonner par la pensée. C'est ce qu'il fit. Il n'entendit même pas les cris du dragon lorsque la lumière de sa créature lui grilla la rétine. Il ne sentit pas le vent déchaîné par Samabana pour éteindre la flamme qu'il venait de faire naître. Il ne vit pas les cendres du dragon s'envoler vers les cieux. Il était simplement immobile, regardant sa créature passionnément. Amoureusement, même.

Samabana hurlait, se brisant les cordes vocales, tout autour de lui voulait en éclat, plus rien de l'univers ne serait pareil après ce combat, quelle qu'en soit l'issue. Un combat de forces incomprises mais plus puissante que n'importe quelle armée. Sa réserve de magie s'épuisait à vue d'œil, alors la créature d'Huracán en profita. Elle se rassembla en une traînée de lumière aveuglante, prête à transpercer son corps.

Huracán voulait réfléchir avant de lui ôter la vie, mais la créature ne lui laissa pas assez de temps. À la dernière seconde, il avança sa main vers elle à son tour :

- Ne le tues pas tout de suite, Amour.

La créature reprit sa forme humaine d'un air interrogatif :

- Il n'a plus de magie en lui. Elle l'a quitté. Il est redevenu mortel. Laissons-le finir sa vie dignement.

Ainsi, Isnaï fut libéré, les peuples redevinrent nomades, paisibles, et ils vécurent heureux, la magie étant à nouveau lisse et pure, comme à sa création.

- C'est là que nous allons ?

- Nous avons plus de chances de tomber là-bas que d'arriver aux frontières de Zichtén'Ichá, de Kragona ou d'Ashesh en tout cas.

XXX

Ilkka

Plus nous avançons, plus la lanterne faiblit. Ce n'est que lorsqu'au loin nous voyons des rayons du soleil que nous savons que nous sommes sauvés. La lanterne clignote cinq fois avant de s'éteindre pour toujours :

- Nous nous éloignons trop de centre d'énergie, c'est pour ça qu'elle ne fonctionne plus.

Pour la première fois depuis que nous sommes repartis, Tancah vient de prononcer des mots. Tout espoir de communication avec elle ne sont pas perdus !

La vision des falaises est magnifique. Le fleuve d'Ahwlalal se déverse un peu plus loin en une cascade demi-circulaire dans un vacarme bruyamment agréable. Et puis ces couleurs ! L'eau noire devient d'un bleu azur en bas, les arbres verdoyants éblouissent nos yeux habitués depuis trop longtemps aux Ténèbres d'Agdda.

Le canyon qui en découle guide l'eau sur des centaines de kilomètres en une gouttière de terre argileuse aux multiples states. Mais toujours aucune âme qui vive. Nous restons là, bouche bée, tous les trois, à regarder un paysage inconnu comme si nos yeux découvraient le monde en couleurs.