Chapitre II

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II

Après une nuit interminable, la mère de Bethsabée vint la tirer d'un sommeil court et tourmenté. Des milliers de questions s'étaient bousculées dans sa tête tandis que l'obscurité s'installait dehors, tirant parti de l'absence du soleil. Pourquoi avait-elle reçu cette lettre ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Et surtout, qui avait bien pu la lui déposer !? Bethsabée avait cruellement besoin d'en parler à quelqu'un afin d'obtenir un avis extérieur.

À la pause, elle rejoignit son groupe d'amis qu'elle n'avait même pas eu le temps de saluer puisque, perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu le temps s'écouler pendant qu'elle s'apprêtait dans sa salle de bain. Elle s'empressa de leur montrer la lettre qu'elle avait soigneusement pliée dans la poche arrière de son jean, en quittant sa maison. La première de ses deux amies, une petite blonde réservée, mais toujours bien vêtue, parcourut la lettre des yeux et la jugea quelque peu ridicule. Elle ne saisit pas vraiment l'objectif de celle-ci et s'y désintéressa rapidement, préférant poursuivre la dégustation de la salade de fruit qu'elle venait tout juste d'entamer. La seconde, en revanche, lut la missive avec une attention particulière, et s'imagina déjà des milliers de scénarios, tous plus farfelus les uns que les autres. Bethsabée s'attendait un peu à ce que ce soit elle qui s'y intéresse le plus. Originaire d'Australie, la brune aux yeux verts qui se tenait face à elle affichait constamment une mine heureuse, une qualité que Bethsabée appréciait chez les personnes de son entourage. Excitée comme si elle venait de découvrir un trésor, la petite boule d'énergie qui animait généralement à elle seule le trio d'amies, empoigna ses deux camarades et les força à s'asseoir sur un banc mouillé par la rosée du matin.

Elle leur fit comprendre qu'il était essentiel d'établir un plan, et commença alors à questionner Bethsabée de manière insistante. As-tu vu quelqu'un déposer quelque chose dans ton casier ? As-tu fait des rencontres récentes, juste avant de recevoir la lettre ? Ou encore, connais-tu quelqu'un capable d'écrire un texte aussi étrange ? Bien que la réponse à toutes ces questions soit évidemment non, Bethsabée tint tout de même à préciser qu'elle trouvait le petit poème plutôt beau et qu'il avait suscité son appréciation. La blonde assise à ses côtés en profita, sachant que Bethsabée ne pouvait pas la voir, pour hausser les sourcils. Ce geste lui valut cependant un regard réprobateur de la part de son amie qui se tenait toujours debout, en face d'elles. À la suite de cette discussion animée, la sonnerie retentit et Bethsabée se leva pour retourner en cours, emportant avec elle l'amère impression de ne pas avoir été pleinement écoutée.

En rentrant de la longue journée qu'elle venait de passer à débattre sur le potentiel destinateur, Bethsabée s'écroula sur le canapé gris du salon. Soudain, alors qu'elle fermait les yeux, épuisée, une avalanche de léchouilles amicales recouvrit sa joue d'une bave gluante. Son camarade au museau noir ne lui laissa même pas une seconde de répit puisqu'il réclamait déjà sa balade quotidienne. Forcée de mettre les pieds dehors, Bethsabée attrapa la veste qu'elle venait d'accrocher au porte-manteau et s'empara de la laisse qui pendait, elle aussi, à la patère.

Au moment où elle atteignit le parc et fut protégée par l'épais feuillage suspendu aux branches des arbres, le ciel s'éclaircit, comme pour se moquer d'elle, renforçant ainsi l'idée qu'elle se faisait de cette journée fatigante où tout semblait agir contre elle. En approchant d'un banc, elle y vit l'occasion idéale de refaire ses lacets. Penchée, un pied sur les lattes de bois où de nombreuses personnes s'étaient probablement assisses auparavant, elle exécuta un simple nœud, avant de plonger dans son imagination. Elle tenta de se représenter l'auteur de la lettre qu'elle avait reçue. Peut-être était-il vieux, barbu, laid et atteint de graves troubles psychiques ? Bethsabée préféra effacer immédiatement l'image déplaisante qu'elle avait en tête pour la remplacer par celle d'un célèbre poète qui lui faisait, en fait, cadeau d'une avant-première de son recueil de poèmes. Désormais en train de marcher, Bethsabée s'amusa à imaginer cet homme de toutes les façons et se laissa emporter dans le dédale de sa créativité avec, comme seul contact avec le monde extérieur, la force que son chien appliquait sur la laisse.

Bethsabée et ÉlioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant