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Faith, 9 ans plus tôt.

Rarement nous accordions à notre famille des vacances. Ce jour-là, notre destination était la Caroline du Sud, une échappatoire bienvenue face à quel point la Philadelphie était devenue lassante. Mon grand frère et moi tentions de trouver sommeil, immergés dans les cris habituels de nos parents. A la longue, je m'y étais habituée, oubliant les raison de leurs disputes. Mais ce soir-là, même à présent, le souvenir persiste, je me souviens parfaitement pourquoi leurs voix s'élevaient si haut.

Ma mère, exténuée par un travail exigeant, s'investissait énormément à la maison. Mon père, quant à lui, s'enfermait dans son travail à domicile, ses mains toujours agrippées à ces mêmes documents, en pianotant son clavier d'ordinateur. Leur débordement professionnel provoquait des discordes, créant une faille dans leur communication. Si seulement cela s'était arrêté là, ce n'était qu'une fraction de leurs problèmes. Mais cette nuit-là...

— Quand on rentrera, je vais encore devoir dépoussiérer toute la maison, faire le ménage, la vaisselle, je fais tout, se lamenta ma mère.

— Tu sais faire autre chose que te plaindre ? demanda mon père en fronçant les sourcils.

— Tu n'essayes jamais de me comprendre.

— Et toi tu essayes ? Est-ce que tu t'es déjà dis une seule seconde dans ta putain de vie que moi aussi j'en ai par dessus la tête du boulot ?

Ma mère soupira.

— Oui, oui, vas-y, soupire, souffla mon père, c'est la seule chose que tu sais faire.

Quand j'y repense, je me dis que mon père a toujours était une ordure, ça ne date pas d'hier.

— Tu ne m'as servi qu'à faire des gosses, et à baiser.

J'avais huit ans, Noa en avait neuf. On était contraints à entendre ces mots quotidiennement.

— C'est la même chose, répliqua ma mère, agacée.

— C'est tout ce que t'as à dire ? Tu n'es vraiment qu'une salope ! Tu tiens tout de ta foutue mère !

— Laisse ma mère en dehors de ça, William, dit ma mère en le fusillant du regard.

— Et tu crois que je vais t'obéir ? Tu ne comprends pas que tu n'es qu'une erreur ! Je ne comprends toujours pas pourquoi je t'ai épousé, tu ne me sers à rien !

Mes pupilles s'étaient écarquillées, captant le rugissement du moteur de mon père qui accélérait, la voiture devant nous surgissant à grande vitesse alors que mon père, dans une mauvaise manœuvre, avait pris la direction périlleuse. Il agrippait le volant avec une férocité croissante, insensible aux supplications désespérées de ma mère, l'avertissant du danger qu'il faisait peser sur nos vies.

— William ! s'était-elle exclamée.

— Je m'en fiche, Daisy !

Ne sachant que faire, ma mère frappa le volant, le faisant virer brusquement sur la droite. Tout s'était déroulé en un éclair. Un fracas assourdissant avait retenti, faisant voler en éclats les vitres du côté gauche et le pare-brise. La voiture devant nous s'était retournée. Quelques éclats de verre s'étaient plantés dans mon bras, mais cette douleur passait inaperçue devant l'horreur qui se déroulait autour de moi. Ma mère, ensanglantée, avait la tête affalée sur le tableau de bord. Mon frère, à mes côtés, avait été projeté contre la fenêtre désormais inexistante. J'étais passée à l'avant de la voiture, secouant le corps probablement sans vie de ma mère.

— Maman, murmurai-je, passant ma main dans ses cheveux.

Elle me regardait avec un de ces sourires que je n'ai toujours pas réussi à oublier après tant d'années.

— Maman ! m'affolai-je.

Ses yeux se fermaient lentement, emportant avec eux son sourire.

— Je t'aime, Faith, murmura-t-elle.

Ces mots me transpercèrent le cœur comme une lame de couteau, avec une cruauté sadique. Je la regardais s'éteindre sous mes yeux, sa peau pâlissant.

Mon père semblait insensible. Il s'en était sorti presque indemne. Soit il ne réalisait pas, soit il était inhumain. Croisant son regard, je me mis à pleurer. Mes sanglots devenaient si fort que je ne pouvais plus me contrôler, j'en étouffais presque. À ce moment précis, je m'étais retrouvée seule, n'ayant que ma douleur immense pour compagnie.

J'avais 8 ans et je venais de vivre l'une des scènes les plus traumatisantes de ma vie. Je devais sûrement paraître pitoyable, mais mon père s'en moquait, ne cherchant même pas à me consoler.

Dehors, deux garçons se tenaient. L'aîné, ne versait pas une larme, tandis que le plus jeune, laissait quelques larmes couler sur ses joues...

***

Depuis ce jour, les hôpitaux sont sans aucun doute ma plus grande hantise. Les deux garçons se tenaient à quelques mètres de moi, ils venaient de recevoir une horrible nouvelle. Leurs parents venaient de rendre l'âme, et le cadet, sous le choc, avait perdu l'usage de la parole. Leurs regards vides scrutaient le sol, ils portaient la même douleur que la mienne. Mon père était devenu un criminel, une ombre sombre dans leurs yeux comme dans les miens, et cette réalité me poigne le cœur aujourd'hui encore. Ils me semblaient familiers, comme des visages croisés dans un passé non très lointain. Leur chevelure d'un blond rare accentuait l'impression de déjà-vu.

Ma mère n'avait sûrement pas survécu. Pour mon frère, un mince espoir persistait encore. Mon père s'était éclipsé depuis plusieurs minutes, voire une heure. J'attendais avec angoisse qu'un médecin vienne m'annoncer la cruelle vérité que je connaissais déjà.

— Monsieur Davis ? Est-ce que Monsieur Davis est ici ? demanda une doctoresse.

Elle était la porteuse de ces sinistres nouvelles...

— Il est parti, déclarai-je.

— Oh, c'est ton papa ?

Elle posa un regard sensible sur moi. Je hochai la tête, honteuse.

— Vous pouvez me le dire, vous savez ? Je sais que maman est morte.

Elle écarquilla les yeux avant de les poser à nouveau sur moi, moins tendus. Je détestais susciter la pitié chez les autres.

— J'aimerais en parler à ton papa, tu sais où il est ? m'interrogea-t-elle.

— Il est dehors.

Elle me remercia avant de se diriger vers l'extérieur. Comme si lui dire aurait pu changer quelque chose. La certitude que tout touchait à sa fin m'envahissait. La fin de notre famille, le crépuscule de ma vie, jusqu'alors presque saine...

Maintenant, place à l'enfer.

Forgotten Memory [AUTO-ÉDITÉ SUR AMAZONKDP]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant