Plan retraite

Bali, quatre millions et demi dhabitants. Ses techno-nomades, ses drogues, ses jolies filles, ses fêtards, ses paysages de rêve et des milliers de touristes par an. Des milliers de pigeons qui venaient se faire couillonner leur portefeuille au paradis. Dans les restaus de rue, les boites de plage, auprès des revendeurs de came, dans les hôtels ou les auberges de jeunesse. Bref lendroit idéal pour prendre sa retraite selon Joe. On y mangeait bien, les loyers nétaient pas chers, même à la saison haute, les filles étaient jolies donc, et surtout de cet âge qui faisait rêver les sexagénaires ou presque, il aurait tout juste cinquante-neuf ans à la fin de la semaine. Jamais étant jeune il naurait pensé vivre aussi longtemps et il nétait pas certain que la perspective lui plaisait. Même en Indonésie où on respectait les vieux, en tout cas plus quen Europe. En Europe on était plus que de la viande sur pied à entretenir le plus longtemps possible parce que ça rapportait du pognon. LEurope… il avait appris que le Royaume Uni lavait quitté et que depuis cétait la merde complète. Appris que Poutine sétait invité en son cœur et que maintenant on se faisait la guerre par mercenaires et drones interposés. Rien de réjouissant et dailleurs lEurope, où il était né, ne lui avait jamais inspiré de perspective reluisante. La France ? Cétait joli, mais quest-ce quon sy emmerdait ! LAllemagne ? Pour y faire des affaires, comme la Suisse. LEspagne ou lItalie ? Il y avait vécu avant de décider que non, décidemment, lEurope ce nétait plus pour lui. Trop de mauvais souvenirs, et trop de cons aussi. Une espèce quon retrouvait ici, bien entendu, on ny échappe jamais, mais ici il savait comment les gérer. En commençant par vivre dans une maison isolée à la lisière dune plage. Une maison quil avait retapée avec ses voisins hippies de lépoque, il y avait quinze ans ou à peu près maintenant. Un rêve alors, mais aujourdhui il commençait à sinquiéter depuis que la mer sétait déjà invitée dans son salon. Elle avançait et rien ne semblait pouvoir larrêter, même pas les digues quon avait construit autour de Jakarta. Le réchauffement climatique bien entendu. Mais comme il se sentait tout à fait impuissant face à cette perspective, Joe sétait déjà acheté un deux pièces dans un coin calme de Denpasar, la capitale de lile. Il lavait aménagé pour les touristes, le louait en juillet et août, et passait souvent les deux premières semaines de septembre à nettoyer leur merde. Rendus en vacances, loin de chez eux, cétait comme si les gens voyageaient sans leur cerveau. Il y avait beau avoir des panneaux partout sur lîle et des amendes salées, la pollution générée par la foule des vacances était un autre problème qui menaçait la beauté et lintégrité de Bali. La location lui rapportait de quoi payer et assurer son taxi, un SUV Mercedes avec lair conditionnée avec lequel il trimballait les touristes. Pas nimporte lesquels, ceux que lui envoyaient ses potes des hôtels alentours. Barman, DJ, portier, quand ils avaient quelquun à la bonne cétait pour Joe parce quils savaient que Joe allait bien les traiter. Que Joe était ici depuis assez de temps pour connaitre les bons coins, vous introduire dans les bonnes fêtes, et éventuellement auprès des bonnes personnes. De fait, comme il ny avait pas forcément de client, il ne travaillait pas tous les jours, et à dire vrai quand ça larrangeait. Ça lui laissait du temps pour visiter les îles voisines, aller se balader, pêcher, ou se rendre à une fête. Prendre un ecsta ou un acide et danser sous la lune à moitié nu, quel pied, même à cinquante-neuf ans, surtout peut-être même. Et il était loin dêtre le seul de son âge ou plus, dans le secteur à profiter du paradis. Cétait ce quil avait fait la veille au soir, au cours dune moon party organisée pas loin de chez lui par Claude C. ou C.C, une amie à lui, belge et DJ qui orbitait entre ici, Singapour et Shanghai. Il sétait bien éclaté sur de lélectro-house, était rentré fin défoncé, une bouteille de vodka à la main, un acide dans le cerveau. Il avait continué de danser seul en face de chez lui en écoutant du jazz-rock cette fois, puis sétait endormi contre sa bouteille pour faire des rêves formidables. Il était en train de somnoler, doucement chauffé par le soleil déjà haut dans le ciel, quand il sentit quelque chose de soyeux se refermer sur son poignet. Une araignée. Il bondit sur ses jambes, sa bouteille bien haut brandit en hurlant de peur, prêt à écraser la chose sous sa vodka. Mais ce nétait pas une araignée, cétait la main dune môme qui sécarta vivement, les yeux arrondis par la frayeur. Une petite blonde avec des couettes quon aurait pu lappeler Heidi, quest-ce quelle fichait là avec son gros sac à dos rose et bleu ?