Le soir venu, lorsque le soleil décline à l'horizon, les nuances de couleurs chatoyantes révèlent encore plus la beauté des tons ocre de la Falésia. Impossible de me lasser de ce panorama. Je veux qu'il s'imprime dans mon esprit pour l'éternité.
Je sirote mon thé chaud en me demandant si ces plantes médicinales naturelles achetées à Tours fonctionnent vraiment. Cela fait quelques jours que des douleurs aiguës me foudroient la poitrine et le ventre. Une fatigue diffuse me rattrape quelques fois et me fait craindre l'inévitable progression de la maladie. Je l'aurai presque oubliée cette abjecte intruse.Sabine vient s'installer près de moi, une serviette enroulée autour de ses cheveux mouillés. Je tais mes douleurs et mon épuisement. Elle semble détendue, comme sur un petit nuage. Je ne lui ai encore jamais vu cet air guilleret. Pédro et elle ont longuement discuté sur la plage. Tiago les a vu se faire une bise "sur les deux joues !". Leur échange s'est sûrement bien passé, je m'en veux de m'être endormie et d'avoir rater le spectacle. Elle est la première à rompre le silence.
— Tiago dort, il était épuisé, le pauvre !
— Mon petit cœur... Il faut dire qu'il s'est beaucoup donné au surf ce matin.Quelques mouettes survolent encore la falaise et nous bercent de leurs ricanements rauques avant de retrouver leur dortoir, à l'abri des vents. Le silence s'installe peu à peu pour laisser place à la nuit. L'air est doux, la fraîcheur de fin de journée est salvatrice. La chaleur est écrasante à cette période de l'année. Ma peau est rougie par l'excès solaire. S'endormir sur la plage sans écran total n'était pas une bonne idée... Cela dit, il est inutile de prévenir le cancer de la peau en me badigeonnant de crème solaire poisseuse dans mon cas.
Ces pensées sarcastiques me fatiguent.
— Je t'en ai voulu de m'abonner sur la plage ce matin, se plaint Sabine.
Sabine commence elle-même la discussion, ma curiosité est à son paroxysme, je ne tiens plus. J'ai imaginé mille scénarios durant la journée, espérant que celui de la naissance d'une histoire serait le bon. Le ton de sa voix me laisse penser qu'elle ne m'en veut pas tant que cela.
— Je venais à peine de m'allonger, c'était beaucoup trop me demander, j'étais crevée en fait.Je décide de mentir. Certains petits mensonges utilisés à bon escient ont leur intérêt.
— En fait, je te remercie.
Je me redresse d'un bond et manque de m'étouffer. Je tousse a m'en égosiller.
— Oh, tu me fais faire des bêtises !
Je tente de contenir autant que possible mon excitation.
— Ça va ? me demande Sabine, l'air préoccupé.
— Oui, c'est passé. Raconte-moi tout, je n'en peux plus !
— J'étais étonnée que tu ne me questionnes pas dans la journée, j'imagine à quel point tu as dû prendre sur toi, me taquine-t-elle.
— Mais tellement ! Je n'avais pas envie d'aborder le sujet devant Tiago... Et puis, j'attendais que tu m'en parle pour ne pas te brusquer.
— Pas de ça entre nous, il n'y a rien que je ne puisse te dire. Parfois, certains sujets sont plus difficiles, et clairement, ce qui touche à mon cœur de femme en est un. Mais, tu es ma seule confidente, j'ai toute confiance en toi.
— Tu sais aussi te faire comprendre lorsque tu ne veux pas te confier. Tu es la reine de la politique de l'autruche. Tu sais bien enfoncer profondément ta tête dans le sable ! Ah ah !
— Tu as fini ou je vais encore en prendre pour mon grade ? me demande-t-elle en feignant l'agacement.
— Bon, allez ! Raconte-moi, je veux chaque détail ! Vous avez parlé de quoi, qu'as-tu ressenti ? Vous allez vous revoir... ?
— Hey, doucement ! m'interrompt Sabine en levant les mains au ciel, faussement accablée.Je mime de tirer sur la fermeture éclair qui recouvre mes lèvres. Je pince fort ma bouche et la dévisage de mes yeux ronds, comme une enfant. Cette scène me rappelle nos années étudiantes, lorsque nous nous racontions nos flirts en chuchotant pendant les cours.
— On a commandé un jus de fruit frais pressé. Delfine, il faut que tu goûtes leurs jus maison, ils sont à tomber, je te jure !
Je fronce net les sourcils, la bouche toujours fermement cousue et intensifie mon regard pour l'inciter à passer vite à l'essentiel. Sabine joue avec mes nerfs !
— J'ai passé un moment hors du temps, lâche-t-elle enfin en s'affalant sur son fauteuil.Sa posture, les bras étalés de part et d'autre des accoudoirs en disent long. C'est si beau, limpide. Un immense sourire éclaire mon visage en voyant le sien s'illuminer. Je ne m'attendais pas à tant, si vite, je suis exaltée. Son regard parcourt le ciel comme si le visage de Pédro faisait son apparition. Je la contemple. Jamais je n'ai vu Sabine ainsi, croire de nouveau en l'amour.
Elle me raconte mot à mot leur discussion, je l'écoute sans me lasser. Ils ont fait connaissance, en retraçant le fil de leur histoire. Pédro s'est confié sur ses déceptions sentimentales qui ne sont pas sans rappeler celles de Sabine. Il a été fiancé et lâchement abandonné par la future mariée à quelques jours de la cérémonie du mariage. L'image de cet homme aux allures de coureur de jupons se révèle autrement dans mon esprit. A travers les propos de mon amie, je perçois un homme sensible dont le cœur n'a pas été épargné. Il s'intéresse également à la sophrologie et au yoga qu'il pratique depuis plusieurs années.
— Qui aurait cru qu'un homme chevelu aux allures de cow-boy pratique la posture du chien tête en bas ? plaisante Sabine.Nous partons dans un fou rire complice en imaginant Pédro les fesses en l'air, la tête en bas et ses cheveux au vent effleurant le sable.
— Vos parties de jambes en l'air promettent d'être fun !
— Delfine ! me gronde Sabine les joues pourpres.
— J'arrête, dis-je en joignant les mains devant ma poitrine. Namasté. Je suis si heureuse pour toi.
— Ne commence pas à t'emballer trop vite, implore-t-elle prudemment. On a passé un super moment, comme si je le connaissais depuis toujours... Mais, rien ne dit que nous continuerons à nous voir éternellement. Et puis, il va rentrer en France, de toute façon.
— Et, tu ne comptes pas vivre ici toute ta vie, si ?
— Tu es insupportable ! me gronde-t-elle.
— Alors, quand est votre prochain rendez-vous ?
— Il m'a invité à dîner demain soir ! s'écrie-t-elle en tapant des pieds sur le sable tant elle contenait son excitation.On pourrait croire qu'elle a de nouveau vingt ans. Je me lève d'un bond et me jette dans ses bras.
— Quand est-ce que tu comptais me le dire, Sabine ?! Je n'y crois pas, je dois t'arracher les vers du nez !
— Je réservais le meilleur pour la fin... confie-t-elle avec un sourire complice.
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Les falaises ocre
General FictionQue feriez-vous si la maladie faisait irruption dans votre vie ? Delfine a trente ans, elle est infirmière, mariée à Alexandre et l'heureuse maman de Tiago, cinq ans. Elle apprend être atteinte d'un cancer, sa vie prend un tout autre virage. Elle co...