11 - Hugo: une audience stressante

589 64 93
                                    

            C'était enfin le jour de la comparution de Mathis Monod. Hugo était nerveux. Si on le lui avait dit une semaine auparavant, il aurait été incrédule. La situation était différente à présent.

     Ce n'était pas encore le procès, mais une comparution préalable pour informer l'accusé de la peine qu'allait requérir le juge. Hugo avait hâte de savoir. Il avait demandé à Héléna d'être présente également. Il savait qu'elle aussi se sentait concernée.

     La jeune volontaire civile parut habillée de noir avec une robe longue et ample, pour faire bonne impression auprès du tribunal. Hugo lui lança un coup d'œil approbateur : elle comprenait les codes. Il savait qu'elle avait essayé de convaincre la mère de Mathis Monod d'en faire autant, en pure perte. Madame Monod, très agitée, arborait sa tenue habituelle, sûrement un peu trop bohème aux yeux des locaux. Le souci était que, lorsqu'on regardait la mère, on restait persuadé que le fils avait reçu des stupéfiants dès le biberon. Hugo espérait en tout cas que le fils aurait une tenue appropriée et serait rasé de près pour la comparution, comme il le lui avait suggéré.

     Les deux femmes et Hugo furent introduits dans la salle du tribunal royal et s'assirent sur le même banc.

     Hugo fit la grimace quand Mathis Monod parut au banc des accusés. Il ne s'était pas rasé et avait gardé son T-shirt, alors qu'Héléna lui avait porté personnellement une chemise. Hugo vit avec inquiétude la moue réprobatrice que le juge porta sur l'accusé. Cela partait mal.

     Mathis Monod plaida non coupable par la bouche de son avocat. Le juge prit la parole longuement, puis se leva et manipula les dossiers devant lui. Fin de la comparution. Hugo savait que ce serait vite expédié et ne s'en étonna pas. Tant de stress pour quelques minutes... En revanche, Héléna semblait abasourdie.

     — Alors ? demanda-t-elle en se tournant vers lui.

     Hugo comprenait le malais. Il avait certainement une expression consternée car Héléna se pencha vers lui.

     — Oh non, il ne va pas demander la mort, quand même ? chuchota-t-elle.

     — Non, perpétuité.

     Héléna se récria. C'était à peine mieux.

     L'avocat de Mathis lui avait traduit le discours du juge et le jeune homme s'était effondré sur son banc. Sa mère, livide, lui prit la main, puis soudain elle marcha jusqu'au banc du juge.

     — It's a shame ! lança-t-elle en anglais. That's not justice !

     Hugo jura à mi-voix et courut la rattraper par le bras, et la tirer en arrière.

     — Madame, je vous en prie ! N'aggravez pas les choses.

     Elle se tourna vers lui.

     — C'est une honte ! Une honte ! martela-t-elle avant de retourner jusqu'à son fils, à qui ses gardes repassaient les menottes.

     Héléna regardait le jeune homme avec une détresse mal dissimulée. La perpétuité était horrible à concevoir quand on avait à peine vingt-deux ans.

     Hugo marcha d'un pas décidé vers le juge, se présenta avec une courbette et entama la conversation.

     — Je vous en prie, écoutez-moi, Votre Honneur...

     Il n'était même pas sûr que le titre officiel soit « Votre Honneur », mais tant pis. Il était trop tard pour cela.

     Il vit du coin de l'œil que Héléna s'était rapprochée et écoutait leur conversation, mais il était certain qu'elle ne comprenait pas.

     Le juge sembla se détendre un peu, fit un signe de tête à Hugo et à Héléna, et dit en anglais :

     — Très bien, je comprends que sa mère soit bouleversée. Je ne demanderai pas de punition contre elle pour outrage à la monarchie. 

     Hugo le remercia en malais :

     — Terima kasih.

     Héléna répéta la même formule. Elle l'avait dit en malais, avec une bonne prononciation. Le juge lui lança un sourire bienveillant avant de quitter l'audience.

     — Vous avez évité le pire à cette pauvre femme, dit Héléna. Merci.

     — Je comprends sa réaction. C'est une mère. Heureusement que le juge a pu le comprendre aussi.

     Puis il ajouta avec un demi-sourire :

     — Vous apprenez le malais, mademoiselle Michel ?

     — Un peu, dit-elle en malais.

     Il sourit. C'était curieux, cela lui arrivait de plus en plus souvent, ces temps-ci. Pourtant il n'avait guère de raisons de le faire.

     — Et maintenant ? interrogea Héléna.

     — Il reste le procès. Il faut que son avocat arrive à lui éviter la perpétuité. S'il est condamné à une peine limitée, même lourde, alors notre gouvernement pourra demander à ce qu'il la purge en France. Il pourra sortir dans quelques années.

     — J'espère que vous avez raison, murmura Héléna.

     Les journalistes français attendaient devant le tribunal. Hugo prit la parole devant les caméras pour raconter l'audience en quelques phrases. Héléna resta à distance. Elle n'avait sans doute aucune envie qu'on la voit au journal de 20 heures.

     L'étape suivante pour Hugo fut de rendre compte de l'audience à l'ambassadeur. Celui-ci semblait distrait tout en l'écoutant. Mais peut-être n'était-ce qu'une impression.

     — Donc il va passer en procès. Quelle date ?

     — Dans plusieurs mois. La justice ici est aussi encombrée que chez nous, répondit Hugo.

     — Et le juge va demander quelle peine ?

     Hugo songea qu'il avait eu raison, Blanchard n'avait rien écouté.

     — La perpétuité ou une longue peine, plus de dix ans en tout cas. Mais pas la mort. C'est déjà ça.

     — Peut-on espérer que la presse française quitte les lieux ?

     — Je le crois, assura Hugo. Comme il faut attendre plusieurs mois pour la suite, les journalistes vont aller couvrir un autre sujet.

     — Très bien, excellent. Orsay me disait que cette couverture médiatique n'était pas souhaitable.

     Hugo fit un vague signe de tête.

     — Si j'ai bien compris, enchaîna Blanchard, la première personne à être intervenue dans votre service est une des volontaires civiles.

     — Oui, c'est mademoiselle Michel.

     — Elle a fait du bon travail, selon vous ?

     — Absolument.

     —Je veux la rencontrer. Envoyez-la-moi.

     — Oui monsieur.

     Hugo fronçait les sourcils en quittant le bureau. Il n'aimait pas cette idée. Il ne connaissait pas encore assez le nouvel ambassadeur pour avoir une opinion sur lui, ni pour être sûr que cela ne serait pas préjudiciable pour Héléna. D'ailleurs, il préférait qu'Héléna ne se fasse pas remarquer, pour ne pas être happée par un autre service. Il avait déjà dû l'arracher une fois au service informatique, mais il ne pourrait pas la rependre au secrétariat de Blanchard si l'ambassadeur avait cette toquade. Hugo voulait garder Héléna pour lui. Tant pis si c'était égoïste.

     Et d'ailleurs, depuis quand mademoiselle Michel était-elle devenue Héléna dans sa tête ?

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant