Chapitre 3 Elvire

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Chère grande sœur,

Je n'ai pas pu t'écrire un petit mot avant, et je m'en excuse, le procès occupait l'esprit de tout le monde au point que même le plus important est devenu secondaire. Là n'est pas le plus important, j'ai reçu ma punition par les juristes. Je suis condamné à travailler pour des généraux russes pour reconstruire la porte de Brandenburg. Je ne sais pas grand-chose de plus, ni combien de temps cela durera, si je rentrerai seulement un jour... Je tenais juste à te l'écrire, une bonne vieille lettre vaut parfois plus que des adieux déchirants dont je ne me remets jamais. Je ne veux pas que tu t'inquiètes pour moi, j'ai mal agi dans ma vie Elvire, j'ai suivi les SS aveuglément et j'ai toléré ce qu'ils faisaient, je les ai suivis de mon propre gré. Alors je ne peux pas me donner le rôle de la victime, je ne l'ai jamais été, je suis juste puni pour tous les innocents que j'ai envoyé à l'abattoir. C'est triste à dire mais c'est vrai, je crois que je n'aurais jamais pu vivre en paix avec moi-même si je n'aurais jamais été puni pour toutes les morts juives et françaises que j'ai causé. Donc, je t'ordonne de ne pas te morfondre et de continuer à vivre, car tu t'en sors à merveille n'en aies aucun doute, je suis sûr que Rainer serait très fier de toi à l'heure actuelle. Moi, je te reviendrai, je te reviendrai en étant meilleur et en ayant fait le deuil de toutes ces âmes qui hantent mes nuits. Prends soin de tout le monde, et en particulier de toi. Tout ira bien.

- Ton frère, Wolfgang.

C'est ainsi que j'ai appris que mon frère était parti pour l'abattoir depuis l'armistice de 1918. Un mois sans nouvelle, j'aurais dû me douter que quelque chose de louche l'attendrait en zone américaine. Je n'ai pas su quoi dire, ni comment réagir. Je n'arrive plus à éprouver une émotion sensée depuis longtemps, une émotion qui rimerait avec toute cette pagaille. Que puis-je faire de plus ? Wolf est chez les russes, que je pleure ou non il y restera le temps voulu par les hauts dignitaires, alors que faire à part essayer de vivre normalement ?

« Ma petite Elvire.

- Oui Maman ?

- Je me sens terriblement bien aujourd'hui, tu veux qu'on sorte marcher ?

- Maman... Tu sais que je dois refaire tes papiers, ils ne sont plus en règle avec les nouvelles lois. »

Je vais pour la serrer dans mes bras, mais elle se lève en me refusant.

« Que se passe-t-il Maman ?

- N'as-tu donc rien à me dire ?

- Non, tu sais déjà tout.

- D'accord. »

Je soupire, désemparée face à autant de questions rhétoriques n'ayant aucun sens, des phrases dénuées de toute réflexion, ressemblant plus à de la folie qu'à autre chose. Ma mère va à la cuisine, sans dire un mot.

« Je sors Maman.

- Où vas-tu ?

- Chercher les rations. »

Elle acquiesce et me laisse partir. Comme à mon habitude, je dégaine mes papiers avant que les soldats prononcent un mot. J'en ai plus qu'assez de devoir entendre leur voix, les mêmes mots, les mêmes comportements, c'en est lassant. Les français hochent la tête, je continue ma route jusqu'à la place où se déroulent les distributions. Je fais la queue, et discute avec les autres allemandes. J'en ai vu certaines grandir, et là elles touchent la fin de l'adolescence, d'autres m'ont vu elles-mêmes grandir et gardent la force de se battre face aux Alliés bien que la guerre soit terminée. Je m'avance, faisant face à trois ennemis. Mes yeux se posent sur leur visage. Je sens les battements de mon cœur s'accélérer lorsque mes prunelles traversent les siennes, grises, brillant d'un effet bleuté sous le faible néon de soleil hivernal. Je sens qu'il m'a reconnu, alors je me concentre à nouveau sur ma mission. Je me présente et je reçois mon sac. Je me tourne, fendant la foule en deux, sentant mon pouls prêt à rompre ma jugulaire. L'attention allemande se fige sur moi, comme s'ils avaient senti qu'une de leur congénère se sentait mal.

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