Chapitre VIII - l'anamnèse

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2015, octobre, dimanche 18, 18h39.


     Une main sur le volant, l'autre resserrant ma chemise du bout des doigts, je fuyais désespéramment les discussions obscènes du seul et unique enquêteur qui pouvait bien se retrouver assis à ma gauche dans une voiture à moitié réchauffée par ses déclarations. Les gouttes qui s'accumulaient sur le pare-brise faisaient taire comme elles le purent sa voix à l'écho dissonant. Je tâtai le cuir du volant, essayant de fuir mes pensées en même temps. Et-

     — Al.

     Merde. J'avais lamentablement échoué. Ses sourcils froncés et sa bouche prête à dégainer les pires insultes qu'elle connaissait me fixaient comme une bête affamée. Ma jambe libre se mit à s'agiter, comme elle le faisait la plupart du temps, donnant un rythme à mon orchestre d'angoisse. Jun n'avait pas déblatérer depuis qu'il était entré dans ma voiture, il ne m'avait à vrai dire pas adressé la parole du tout. J'avais comblé un manque qui n'en était pas un, car après tout, je me plaisais bien à écouter son silence.

     — Depuis combien de temps est-ce que tu connais Amaël ?

     — Euh, répondis-je à la fois déconcerté par sa demande et réfléchissant à une bonne réponse, depuis mes treize ans je crois.

     — Tu as dû rencontrer sa famille du coup, non ?

     Sa question n'en était pas une. Il était persuadé que je la connaissais. Amaël... Je pense n'avoir jamais concrètement parlé de lui à Jun, après tout ils ne se connaissaient que par le biais de Shams, et paradoxalement par le travail. Parler de lui ici et maintenant, aux côtés d'un enquêteur pour qui les pensées étaient indétectables, ne m'était pas familier. Ça ne l'était absolument pas. Je déposai mes yeux soucieux sur Jun, cherchant à trouver sur son visage la raison de ce sujet de discussion. Pourquoi maintenant ?

     — Sa mère était et est toujours à l'hôpital alors je n'ai pas eu de nombreuses occasions de lui parler, et son père est décédé avant qu'il n'emménage à Stamford, je ne l'ai jamais vu. Quant à ses frères... doutai-je un instant en déposant mon coude sur la portière, je n'en connais qu'un, enfin j'ai déjà vu l'autre mais... je ne pense pas que ce soit nécessaire de te raconter toute l'histoire. Pourquoi est-ce que tu me demandes ça tout d'un coup ?

     — Parce qu'Amaël pourrait bien avoir son implication dans l'affaire. Et pas qu'un peu si tu veux mon avis.

     Ce sentiment de trahison que nous connaissons tous, cette pression dans la gorge et l'estomac qui te supplie de te lever pour achever ce qu'elle a commencé. Je ne savais même plus si c'était bien ce que je ressentais à cet instant. En tentant de regarder ses yeux je ne vis qu'une main m'attraper la tête pour la tourner en direction de la route. Ah c'est vrai, je suis en train de conduire, merde.

     — Pitié reste concentré, cracha-t-il en croisant ses jambes, le frère que tu ne connais pas très bien, comment s'appelle-t-il ?

     — Tu m'en poses de ces questions... je sais plus, la dernière fois que je l'ai vu j'avais même pas quinze ans, déclarai-je en cherchant un nom dans mes souvenirs. Tu devr-

     — Melvyn Blom. C'est son nom. L'homme qui est le plus suspecté d'avoir enlevé Sao est le grand frère d'Amaël.

     Ce n'était pas ma voiture mais bien mon coeur qui venait de piler, juste sous ses yeux, sans prêter attention aux autres qui m'entouraient. Melvyn Blom... ?! Mais bien sûr, à sa majorité Amaël a prit le nom de sa mère, comment ai-je pu oublié ça ? Amaël Hafman. Amaël Blom. L'odeur du sang me revint instantanément dans les narines, comme si mon cerveau avait voulu me replonger au mieux dans ce passé préférable à oublier. Melvyn, évidemment, c'était forcément lui. Encore une fois.

Les Précepteurs du Я - Âmes Sentinelles (Tome I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant