Récit Premier (15 janvier 1961)

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Si l'on me demandait si je fusse heureux en cette vie, avec le peu de moyens que j'avais pour m'exprimer, je dirais que oui. Je suis un jeune étudiant, mon père est cordonnier et ma mère travaillait dans une blanchisserie avant qu'une inflammation de l'appendice ne l'emporte. Je vis dans l'internat Sainte-Genièvre à 2 pas du centre d'Aubagne, la ville de Marcel Pagnol. Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais été très bavard, j'aimais me perdre à des questions métaphysiques et philosophé à la sortie de l'école élémentaire, mais toutes ces luttes se passaient dans ma tête et je n'avais guère l'envie de partager cela avec les faibles d'esprit de la classe de Madame Pépin. Mon père avait grandi dans une béante misère, son père le battait de temps à autre quand il oubliait une corvée ici et là. Du plus profond que je me souvienne, il me disait que lui et sa fratrie de neuf, ne mangeaient jamais de viande sauf le dimanche, jour du Seigneur, ou ils avaient le droit à deux maigres lièvres pour onze personnes. Moi, j'avais grandi dans un extrême confort. Mes parents étaient tout deux catholiques, des gens comme il faut, ni trop gros ni trop mince, ni trop grand ni trop petit. Depuis que ma mère était morte, je n'entendis jamais plus mon père, il était devenu muet, il n'avait le goût à rien, mise à part manipuler son alêne pour découper minutieusement le cuire pour sa prochaine création, à la lumière d'une vielle lampe à pétrole dans le coin de son bureau en chêne, vernis de toute part. Le bonheur était pour moi une chose qui m'échappait quelque peu, mais que j'ai toujours su conserver. Ce bonheur était probablement entretenu par mes timides oraisons chaque soir dans l'enfance auprès de mon père et ma mère devant la somptueuse croix du Christ en noyer construite par mon oncle, le Père Georges. Je ne l'avais jamais vraiment connu mon oncle, mais c'est par son intermédiaire que j'étais heureux, les souvenirs d'enfance où nous étions genoux joints dans le modeste salon de notre taudis à Nîmes devant le Christ, entretenait encore aujourd'hui dans mon esprit une action de grâce qui me rendait joyeux. À l'internat, tout était terne, les jours se ressemblaient, j'étais fort bien habitué à lire au coin de ma fenêtre à barreau, mais la solitude me prenait par le cou quand je baissais mon attention. Nietzsche disait que le bonheur était une femme. Si ce fut véritablement le cas, je pense que ce serait ma mère. Elle dessinait toujours un sourire gai et sincère devant la cheminée quand elle passait plusieurs heures pour coudre ces petits gants de laine qu'elle aimait faire chaque année à l'approche du rude hiver pour mon paternel et moi-même. Il faut dire qu'elle avait le souci du détail, point de filament qui dépasse, elle murmurait souvent des petits mots, c'était des psaumes ou des quelconques comptine de son enfance. Elle était issue d'un mariage arrangé entre un paysan du Tarn et une jeune femme qui devint institutrice. Ils avaient de modeste revenu pécuniaire, mais beaucoup plus de bonté que la famille de mon père. Le bonheur chez moi s'exprime par le souvenir et une nostalgie d'un temps certains. Je n'étais point très religieux aujourd'hui, je m'étais laissé séduire par les grandes philosophies du siècle. Mais plus le temps passait et plus je me perdais dans le tourbillon de l'ennui. J'étais un garçon doux, haut comme 3 pommes, un peu frêle avec un teint blafard, de modeste constitutions. J'avais un visage et des mains très féminines. Mon sourire faisait fureur dans le dortoir des filles, disait-on. Probablement des ragots visant à amuser la galerie, mais ça n'enlevai rien au côté flatteur de la fourberie bonne enfant. La semaine dernière, je pris place au sein de la paroisse Saint-Michel l'archange à deux mille coudées (900 mètres) de l'hôpital Sainte-Thérèse qui lui-même était à sept cents coudées de l'internat. C'était une modeste église avec quelques icônes byzantine qui s'était perdue ici et là dans les coins peu lumineux de la paroisse. En journée, c'était un endroit assez sombre et austère, mais le soir, quand elle venait là, s'asseoir sur l'extrémité du banc de la première rangé, à côté d'une espèce de cathèdre, je présume ? Ça devenait un lieu de vie merveilleux et animé. Elle était mince, plus petite que moi encore, des yeux fins avec une iris azur qui me rappelait fort bien les marins de Marseille qui faisait escale avec leur bateaux plein de fruits, d'épice et de miel du levant, de Grèce et d'Italie. Elle était ni trop blonde ni trop brune, vêtu d'un manteau de laine fine couche et d'une écharpe bordeaux, d'une paire de chaussures et d'un ruban blanc qui caressait ses cheveux ce jour-là. La première fois que j'entendis parler d'elle, c'était lorsque le Père Marc-Antoine demanda au diacre Philippe d'aller mander une certaine "Izabella" pour faire l'entretient de l'orgue et l'accorder si cela était nécessaire. Plus tard, j'appris de la bouche d'une matrone de la paroisse que c'était une fille d'un immigré polonais, artiste peintre, venue en France après la grande guerre pour faire fortune et qui finit par mourir dans la débauche et l'ivresse dans un taudis rongé par la délabre et la couleur morne et jaunie du parquet. Et fille d'une Alsacienne, ancienne fille de joie qui s'était repentie avant de se faire religieuse quand son époux mourut. Son prénom complet était Izabella Jezierski. Elle était à l'école d'infirmière rattaché à l'hôpital Sainte-Thérèse, le samedi après-midi, elle aidait monsieur et madame Lefebvre qui avait une confiserie artisanale non loin de l'hôtel de ville d'Aubagne, et le dimanche, elle s'occupait du catéchisme des enfants avec la diacre Philippe. Elle avait une douceur maternelle ancrée dans son cœur. Son sourire laissait entrevoir une maigre fossette d'un côté seulement. Elle avait une petite croix autour du cou avec le messie en gloire. C'était l'exemple même du bonheur à travers le prisme du charme féminin. Elle me faisait penser à une bonne sœur dans ses expressions, sa démarche, l'intensité de son regard, la douceur de ses mains. Je ne les avais jamais touchées, mais dans mes songes, je l'avais fait plus d'une fois. Je l'emmenais par la main voyagé dans les Alpes Suisses, nous allions nous perdre 1 jour sur 2 dans les forêts allemandes, ou Goethe se cachait pour écrire Faust. Nous allions partout, sous un saule pleureur rêver, songer, aimer, je lui écrivait de petit alexandrins quand elle s'endormait sur mes genoux, sous cette brise printanière, je l'emmenais dans les steppes d'Asie centrale, je l'emmenais en méditerranéen cueillir ces figues singulière qu'on appelait "goutte d'or" à cause de leur forme, et de la petite goutte sucrée comme du miel qui leur coule du bas quand elles sont bien mûres. Je l'emmenais partout où il faisait bon vivre. Mais dès le levé du soleil, les songes s'arrêtait. Je n'étais point triste de ne lui avoir jamais adressé la parole, je l'aimais de loin disons... Aimé... Je ne savais pas ce que ce mot voulait dire, mais je sentais que cela se présentait sous cette forme. Le cœur qui palpite à la vue de l'être aimée, le ventre noué, les jambes qui nous lâchent... Depuis toujours, j'avais été heureux, car j'entretenais la faible flamme des souvenirs avec mes parents, aujourd'hui, c'était un nouveau bonheur qui s'était inscrit... Qui étais-tu, que lisait tu, Proust, Maupassant, Hugo, Stendhal ? Peut-être Dostoïevski ou Chateaubriand ? Qu'est-ce qui animait ton cœur ? Quelle était ta fleur préférée, la passiflore ? La rose blanche ou le lycoris rouge ? Plutôt violon, piano, harpe ou flûte traversière ? Je voulais tout savoir d'elle et pourtant, je ne savais rien. Elle était si proche et pourtant si loin de moi. « (...) Lorsque tardives nos étreintes, à la dérive se sont éteintes. ». En attendant, ô toi qui animes mon cœur, je te fais don de ma personne, simple et sincère, je ne suis pas si beau, ni tellement intelligent, mais je sais aimé et je suis dévoué plus que quiconque, et c'est le cœur qui parle, l'homme ment, mais pas lui.

La suite de mon épopée, je vous la raconterais fort bien, mais je laisse le temps tissé les fils de mon histoire. Si je ne l'achève pas, c'est que je suis mort. Si je l'achève, c'est qu'elle est mienne. Dieu est bon et Miséricordieux, à l'égard du pécheur mal avisé que je fais.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 15 ⏰

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